Céfalus
de Ludovic Debeurme

critiqué par Pucksimberg, le 11 janvier 2018
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Inquiétant, déroutant et obsédant
Le roman graphique s'ouvre sur le suicide d'un personnage qui se jette du haut d'une falaise. Arrivé au sol, il se dédouble. Un corps reste au sol, un autre se relève. Il décapite le corps resté au sol afin de garder une partie de lui-même. S'ensuit une traversée en barque avec un passeur qui rappelle évidemment des croyances antiques ... A partir de là notre personnage principal rencontrera un Pinocchio en tenue SM, une sainte aveuglée, le Dr Kru qui possède un cirque d'individus monstrueux ... Tout un univers fascinant et déroutant qui semble tout droit sorti de l'imagination féconde de Ludovic Debeurme.

Cette oeuvre est une véritable descente dans la psyché du dessinateur. C'est comme si le lecteur dialoguait avec l'inconscient de cet artiste que je trouve de plus en plus intéressant. Son univers est complètement surréaliste. Certains actes sont démesurés et violents et ne cassent pas pour autant le rythme du récit, un peu comme dans le réalisme magique. Quand le personnage est décapité, l'histoire continue et cette action est intégrée dans l'histoire comme un acte banal. La sexualité aussi est abordée de manière frontale. Certaines scènes semblent nourries par les mythes et le monde de l'enfance, mais deviennent ici des références bien plus inquiétantes. Il est difficile d'avoir des certitudes sur chaque élément et l'on ressent le besoin d'interpréter afin de faire sens. Sans doute une lecture psychanalytique offrirait des pistes de compréhension plus tangibles. Il y a un mal-être et une souffrance qui se dégagent de cet ouvrage et ce besoin d'envol suggéré par l'allusion à Icare semble être la seule issue pour respirer et échapper à certains traumatismes.

Malgré les éléments fantastiques, le lecteur a nettement l'impression que cette oeuvre est très personnelle et intimiste. Elle est tellement métaphorique qu'elle ne délivre pas toutes les clés au lecteur, mais elle semble un support pour l'artiste pour explorer certains maux.

Les dessins en noir et blanc sont captivants. Ils sont à la fois évocateurs et mystérieux. La monstruosité occupe une place centrale dans cette oeuvre sans avoir toujours la même signification. Il y a de nombreuses références qui permettront de donner un autre niveau de lecture ou qui inviteront à repenser certains mythes. Pinocchio n'a pas le rôle que l'on aurait pu imaginer.
Le lecteur doit accepter de se laisser porter par l'imagination de Ludovic Debeurme et accepter d'être emmené dans des situations inconfortables qui l'interpelleront aussi. Il est des histoires dans lesquelles on peut se projeter et imaginer la fin, ici c'est impossible ! La logique n'est pas le fil conducteur de ce roman graphique qui reste de bout en bout surprenant et le lieu de tous les possibles.