Le crime d'Olga Arbélina
de Andreï Makine

critiqué par Pucksimberg, le 18 février 2018
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
"Tout devait être exactement ainsi, elle le comprenait à présent : cette femme, cet adolescent, leur indicible intimité dans cette maison suspendue au bord d'une nuit d'hiver, au bord d'un vide, étrangère à ce globe grouillant de vies humaines ..."
Un jeune homme se rend dans le cimetière russe de Villiers-la-Forêt et interroge le gardien du lieu sur une tombe, celle qui concerne la princesse Arbélina, une Blanche venue se réfugier en France à cause de la guerre civile russe contre les Rouges. A partir de cet instant nous sommes immergés dans le passé de la communauté de la Horde d'or installée dans cette région. C'est surtout cette figure féminine qui occupera une place centrale. Le titre du roman en dit long et oriente notre lecture surtout que l'on retrouve dès les premières pages cette femme trempée à côté d'un homme mort. Cela suffit pour faire d'elle une criminelle. Quel gouffre va s'ouvrir aux pieds du lecteur !
Andreï Makine est un maître de la construction romanesque. Les faits sont plus complexes, parfois trompeurs. Cette scène marquante l'est, bien moins que d'autres dans ce roman. Le récit n'est pas toujours linéaire, ce qui peut ajouter de la confusion tout en invitant le lecteur à reconstruire la logique du récit. Et alors, lorsqu'on en vient à se demander si ce qui est décrit est rêvé ou réalisé, si la princesse est bien saine d'esprit, tout semble devenir possible ...
La princesse Arbélina a été violée et a eu un enfant hémophile de cette relation. Elle vit quelque peu recluse avec ce garçon adolescent désormais et dans l'inquiétude qu'il lui arrive soudainement un accident qui pourrait lui être fatal.

Ce roman d'Andreï Makine est paru après l'obtention du prix Goncourt pour "Le Testament français", place délicate pour un roman à cause des attentes des lecteurs qui n'épargneront pas l'auteur si son ultime production n'est pas au moins du même acabit que le texte couronné. Je dois reconnaître que je n'avais même jamais entendu parler de ce roman de Makine. Ce texte est de facture classique et pourrait même rappeler les romans du XIXème siècle par son atmosphère et le style de l'auteur. De plus le texte est psychologique. Le lecteur est plongé dans la psyché d'Olga, dans ses troubles, ses refoulements, ses hallucinations peut-être ... Le lecteur qui souhaiterait un roman plein d'actions devrait éviter de lire ce texte car une certaine lenteur prédomine, nécessaire vu le sujet abordé, que je n'évoque pas dans ma critique, car c'est bien lui qui va surprendre et gêner le lecteur, au point de ne vouloir y croire. La nature est omniprésente et ses descriptions sont poétiques et utilises pour comprendre cette figure féminine. Il faut accepter d'avancer doucement dans l'histoire et de ne pas avoir toutes les clés en main dès la lecture de certaines pages. Je ne veux pas en dire davantage car il y a un fait essentiel qui est choquant dans ce roman, qui brusque la morale ... Cette progression lente est au service de ce fait. La princesse ne peut l'accepter comme le lecteur ne peut imaginer que l'auteur va décrire ce genre de relation ... J'ai mis du temps à entrer pleinement dans ce roman, mais une fois pris dans les mailles du filet on ne peut en sortir en appréhendant certains passages.

Ce roman peut ébranler le lecteur. Il touche à un tabou et laisse le lecteur démuni quelque part entre la stupéfaction et l'embarras, la compassion et l'horreur ... La lenteur du texte pourrait décevoir, mais ce roman mérite vraiment l'attention du lecteur qui s'intéresse à l'âme russe et au tragique de la condition humaine.