Le Traquet kurde de Jean Rolin

Le Traquet kurde de Jean Rolin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Voyages et aventures

Critiqué par Ardeo, le 27 février 2018 (Flémalle, Inscrit le 29 juin 2012, 77 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 719ème position).
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Traquet à queue rousse

Dès que j’ai su que ce petit livre venait de sortir, je me le suis rapidement procuré. Pas parce que je suis un lecteur assidu de Jean Rolin -que d’ailleurs, je ne connaissais pas avant cette lecture- ni que je suive régulièrement les éditions P.O.L. mais parce que je suis un ornithologue passionné, plus ou moins averti (plutôt plus que moins mais pas un scientifique pur et dur) et que le Traquet kurde appartient à un genre d’oiseau, les traquets, que j’apprécie particulièrement.

Donc, me voici face à une œuvre d’un journaliste de presque 70 ans, grand reporter à ses heures, auteur de récits de voyage, grand voyageur aussi, historien certainement et lauréat de plusieurs prix dont le prix Médicis en 1996 pour le roman « L’organisation ». (Merci Wikipédia)

Jean Rolin s’intéresse aussi à l’ornithologie d’une manière assez pointue et en 2015, il apprend qu’un oiseau rare en provenance d’Asie de l’Ouest a été observé au sommet du Puy de Dôme. Cela lui donne l’envie de mieux connaître cette espèce dont l’apparition en France a fait grand bruit dans le milieu des ornithologues et -à mon avis- certainement aussi parce qu’il est qualifié de « kurde » adjectif très souvent cité dans l’actualité du Proche-Orient et de la Turquie. Cela le stimule, l’incite à faire des recherches dans la littérature scientifique parlant de l’«histoire » de cette espèce d’oiseau. En lisant, bien vite, je vois que Rolin connait bien les oiseaux et qu’il est au courant des comportements des passionnés contemporains de cette science et de ce divertissement qui incite ces gens à courir les campagnes, les bois et les montagnes, les régions de France et d’autres pays bien plus exotiques en vue de voir une espèce qu’ils n’ont jamais vue auparavant et de « cocher » (en gros, mettre une croix en face du nom de l’espèce dans un guide d’identification ou toute autre liste). Il connait aussi les hauts-lieux de l’ornithologie, celle des migrateurs comme par exemple, l’île de Ouessant où viennent s’échouer des oiseaux américains qui se sont perdus dans l’Atlantique et cite de nombreuses espèces où je n’ai relevé aucune erreur ou omission.

Puis, dans son récit, Jean Rolin passe allègrement de considérations générales sur les oiseaux rares (la « coche » dont je viens de parler) à des réflexions et des trouvailles qu’il a faites en compulsant et en recoupant les informations sur les « pionniers » de l’identification, de la description des oiseaux au cours du XIXe siècle. La plupart de ceux-là sont des nobles anglais, grands voyageurs de l’Empire britannique, officiers haut-gradés, aventuriers et « scientifiques » ornithologues. Souvent ce sont des personnes peu soucieuses des pays qu’ils parcourent et encore moins de leurs habitants. Parfois ces personnes sont peu scrupuleuses comme par exemple cet officier nommé Richard Meinertzhagen qui va jusqu’à dérober, voler des spécimens d’oiseaux empaillés dans les collections des musées pour s’approprier la gloire de la découverte et de la description d’une espèce nouvelle (comme le Traquet kurde, par exemple). Inutile de dire que toutes ces « reliques » ont été tirées puis naturalisés (quel drôle de mot pour désigner un tas de plumes collées entre elles !) et que les exploits des ornithologues du XIXe doivent plus à la chasse à outrance des espèces et n’ont guère à voir avec la science ornithologique du XXIe. A préciser tout de même que le nom de cet officier britannique ornithologue est arrivé jusqu'à nous et jusqu'à notre encyclopédie favorite !

Puis, sans transition, l’auteur nous transporte en 2015 dans ses pas à une chasse d’un autre type (jumelles et appareil photo) pour observer lui aussi pour la 1e fois un Traquet kurde. Il se met en scène dans les montagnes kurdes, en Irak et en Syrie où sévissent Daesh, les milices de tout bord et les « conseillers » occidentaux. Comme pour toute belle « coche », cela demande l’effort de gravir la montagne pour découvrir le petit graal ailé. Son audace dans une région où depuis plusieurs décennies se succèdent les tensions et les guerres les plus sanglantes se verra récompensée puisqu’il verra le Traquet kurde. Rolin nous fait voyager dans des mondes parallèles, l’ornithologie de notre XXIe siècle, l’histoire de la taxonomie des oiseaux, le colonialisme et ses conséquences dans cette partie du Monde encore toujours en effervescence avec des guerres atroces sans fin, l’insécurité d’une région jadis prospère.

Un petit livre de 171 pages bien fait, facile à lire, bardé d’humour de bon aloi, intéressant à plus d’un titre.

Je termine en vous rapportant que personnellement, je ne suis pas allé voir le Traquet kurde dans le Puy de Dôme pas plus que je ne suis allé au Kurdistan mais que j’ai eu l’immense joie d’observer cette espèce le 30 décembre 2002 vers midi aux pieds de la grande pyramide de Khéphren. A cette époque-là, l’oiseau s’appelait toujours en français ‘Traquet à queue rousse’ ! Compliqué l’ornithologie ; mais pas ce beau livre de Jean Rolin.

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LE TRAQUET TRAQUÉ

8 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 22 janvier 2019

Le traquet kurde, qui sert de motif et de point de départ à ce livre « se reproduit à partir du mois d’avril dans une zone montagneuse courant du sud-est de la Turquie à l’ouest de l’Iran, laquelle correspond assez exactement à la zone de peuplement kurde. » Ce qui a attiré l’attention de Jean Rolin, ex-grand reporter et formant avec son frère Olivier une des fratries littéraires les plus fameuses de la littérature française, c’est la découverte en 2015 d’un traquet kurde au sommet du Puy de Dôme, trois mois après qu’une milice kurde a repoussé avec l’aide de l’US Air force une offensive de l’Etat islamique contre la ville de Kobané.

Ce périple qui va mener Rolin, historiquement, du XIXème siècle à nos jours et, géographiquement, de la Normandie sur les lieux mêmes de l’habitat du traquet, raconte aussi les collusions que n’ont pas cessé d’entretenir, surtout en Grande Bretagne, l’espionnage et l’ornithologie, ce qui nous vaut des portraits de quelques ornithologues fameux aux destinées aventureuses tels que les extravagants Meinertzhagen ou John Pilby plus espions que diplomates qui tuaient, cela dit, l’objet de leur admiration plutôt que les cocher, comme c’est pratiqué de nos jours.

À ce propos, Rolin écrit : « Si la relation qu’entretient l’ornithologie avec la guerre, l’espionnage ou la diplomatie est illustrée par de nombreux exemples (…) est l’un des rares où elle se conjugue avec le meurtre. »

Dans ce récit qui, pour partie, se situe dans une des régions les plus géopolitiquement sensibles de ces dernières années, jamais l’auteur, qui ne se départit d’un flegme littéraire tout britannique, tenant à distance respectueuse l’objet de son observation, ne se permet de considérations politiques même si on comprend qu’il défend, via le traquet traqué, la cause du peuple kurde. Aucun avis, aucune considération personnels, de ceux qui font les mauvais écrivains, du moins dans l’exercice romanesque, n’est ici exprimé.

Un récit tonique, donc, servi par une écriture minutieuse et volontiers digressive qui fait de ses doutes une arme de précision et nous transbahute d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre, sans qu’il y paraisse.

Ce livre, qui est un des derniers édités par Paul Otchakovsky-Laurens, a été récompensé du Prix Alexandre-Vialatte.

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