On cherche quelqu'un
de Jacques Ancet

critiqué par Eric Eliès, le 21 mars 2018
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Quelqu'un était là, qui n'est plus et ne reviendra pas
Sans pathos ni larmes, avec une sobriété poignante qui avoue le trouble et la douleur, Jacques Ancet, dans cette mince plaquette de 27 poèmes, évoque la mort dans sa dimension charnelle, comme une nuit où le corps s'enfonce et s'efface, et ce qui advient dans le lieu où la présence d'un être se transforme peu à peu en absence quand on comprend que celui qui est parti ne reviendra plus. Le terme "arrêt" est récurrent tout au long du recueil, comme pour marquer la discontinuité absolue entre ce qui était et ce qui n'est plus.

On regarde le ciel sur la vitre.
On se souvient d'un corps, de son ombre.
On entend - peut-être est-ce un écho -
la voix perdue. Un peu d'air s'attarde
tout autour comme un reste de souffle.
Trois oiseaux emportent sur leurs ailes
la lumière du jour qui s'en va.
On voit une image se défaire
qu'on voudrait, qu'on ne peut pas garder.

On cherche des indices, des signes
sur le sable aussitôt effacés.
Celui qui passe suivi de son
ombre, comment pourrait-il savoir
qu'elle va un jour la rattraper ?
Un insecte tenace poursuit
la lumière. Les voix étincellent.
L'une d'entre elles manque. On s'arrête,
on écoute. On attend son retour.

Les poèmes en vers libres sont tous composés de 9 vers d'une dizaine de pieds : ils occupent la page comme des carrés noirs attestant le deuil du poète. Ce qui est remarquable dans ce recueil, qui peut aisément - et doit - se lire d'une traite en raison de l'enchaînement des poèmes qui marquent une progression dans la prise de conscience de la mort d'un être aimé, c'est le sentiment d'une confrontation avec une noirceur et une souffrance indicibles, tapies et masquées derrière la beauté du monde. Le lecteur subit la contamination d'un sentiment de perte irrémédiable, qui s'étend au monde et à la nature alentour. C'est comme si la mort avait soudain voilé d'une ombre froide la lumière du jour, posant sur toute chose son empreinte et imposant un silence où les mots eux-mêmes résonnent étrangement…

En pleine lumière aussi ce noir
venu, de travers comme un volet
mal fermé qui jette une ombre oblique
dans la chambre. On s'arrête. On regarde.
Mais rien que la mouche sur le ciel
ou presque cet œil vitreux d'un soir
quelque part sans date. On se souvient.
On compte mal avec tout ce noir
sur la vie. On ne peut que se taire.