La saga de Youza
de Youozas Baltouchis

critiqué par Fanou03, le 24 mars 2018
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
L'enfant du marais
La littérature balte est pour le moins une littérature assez rare en traduction française. On y trouve malgré tout de belles pépites, comme par exemple l’homme qui savait la langue des serpents de l’estonien Andrus Kivirähk, que j’avais beaucoup aimé. Écrit cette fois-ci dans les années 1980 par un auteur lituanien, Youozas Baltouchis, la Saga de Youza est a priori sa seule œuvre qui soit publiée en français, et on peut le regretter car j’ai trouvé ce roman absolument magnifique et marquant.

La trame s’avère pourtant somme toute assez simple : l’histoire débute une dizaine d’années avant la seconde guerre mondiale. Youza est un jeune paysan lituanien taciturne. Son cœur est brisé : la belle Vintsiouné qui n’avait pas voulu de lui vient de célébrer ses noces avec un autre. Il décide de quitter la ferme qu’il gérait jusque là avec son frère et sa sœur, et de se retirer dans les marais sauvages et incultes de Kaïrabalé voisinant leur village, pour y bâtir un domaine. Mais les passions des hommes et les fracas de l’histoire vont bientôt le rattraper...

Il est impossible de savoir la part qui revient à l’auteur et au travail de la traductrice, mais en tout cas la lecture de la Saga de Youza est un délice. A la fois fluide, ciselé et poétique, le style est de toute beauté, rendant merveilleusement aussi bien l’énergie brute des forces naturels qui régissent le Marais que le les travaux des paysans. La traductrice a d’ailleurs fait le choix d’utiliser énormément de vocabulaire rural parfois un peu ancien ou local (les bouchures par exemple, pour parler des haies, ou les "bouleyeurs", qui sont des marieurs du Morvan, pour évoquer le terme lituanien équivalent). Ce parti pris participe pour beaucoup au charme et au réalisme du récit (saluons aussi qu’un glossaire à la fin de l’ouvrage, dans l'édition Alinéa en tout cas, récapitule la plupart de ces mots peu usités).

Le réalisme du livre, qui décrit avec une certaine minutie la vie rurale de ces années là dans les campagnes lituaniennes, se frotte également à la grande histoire, puisque Youza, qui a fui ses semblables pour mieux oublier sa peine, va sans cesse être rattrapé par les événements tragiques qui vont secouer la vie de son pays, et de l’Europe. lLa Saga de Youza est rythmé par les pouvoirs qui se succèdent à Vilnius et dont les conséquences déferlent jusqu’à la porte du paysan. Il y a un ton à la fois grave et très émouvant qui irrigue le récit : notre héros est souvent en proie à de terribles dilemmes, et de scènes pleines de tensions viennent briser la quiétude des Marais. L’absurdité destructrice des différents régimes politiques, que Youozas Baltouchis renvoient dos à dos, est mis en exergue, ainsi que leur haine de l’être humain.

Les échos lointains de ce bruit et de cette fureur viennent donc déranger Youza, ermite misanthrope, qui prend l’aspect, au fil du livre d’une de ces figures mystérieuses d’un personnage de conte slave, à la fois craint et respecté par les habitants aux alentours, mais dont le cœur brûle pour toujours de tourments jamais refermés.