Considérations sur l'assassinat de Gérard Lebovici de Guy Debord
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire
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Un témoignage sur Gérard Lebovici, éditeur et producteur de cinéma, dont l'assassinat n'a jamais été élucidé
Quand j’ai commencé la lecture de ce livre, je connaissais à peine le nom de Gérard Lebovici, qui connut ses heures de gloire dans les années 70/80 en tant que producteur de cinéma, et j’étais avant tout désireux de lire Guy Debord, dont j’avoue que l’aura me fascine. Sa dénonciation intransigeante des ressorts de la société contemporaine et sa volonté de rester, en homme libre indépendant des calculs politiques, en retrait du jeu médiatique, comme une sorte d’éminence grise de la contestation radicale (c’est-à-dire capable de critiquer également les enjeux et les modalités de la contestation), me font songer à d’autres figures que j’admire, comme Armand Robin.
Ce livre est avant tout un plaidoyer pro domo. Accusé par la presse d’être impliqué dans l’assassinat de Gérard Lebovici, qui fut le 5 mars 1984 tué de quatre balles dans la tête alors qu’il s’apprêtait à quitter le parking de ses bureaux avenue Foch, Guy Debord se défend en dénonçant les multiples contre-vérités proclamées par les journalistes (de tout bord) sur la nature de ses liens avec Gérard Lebovici et sur le fonctionnement des éditions Champs Libres. L’écriture est simple et élégante, avec une touche d’ironie caustique et mordante qui rend la lecture très plaisante. Guy Debord dénonce la légende qui l’entoure, se moque des journalistes et des agents des RG qui le traquent et colportent toutes sortes d’allégations. Guy Debord et Gérard Lebovici étaient des amis intimes, qui s’admiraient mutuellement depuis la fin des années 60.
La presse s’est demandé d’une seule voix, avec une naïve colère, quels procédés, quelle sorcellerie, j’avais bien pu employer pour influencer à ce point Gérard Lebovici. (…) Il paraît difficile de comprendre pourquoi on aurait besoin de recourir à la sorcellerie et à l’envoûtement pour tenter d’expliquer une réalité si naturelle : un éditeur s’intéresse à quelqu’un qui écrit comme moi, tout simplement parce qu’il m’a lu. Ne s’agirait-il que de mon livre, il en remplace avantageusement mille autres. Il y aura bientôt vingt ans, j’ai qualifié toute une phase du capitalisme du nom qui lui restera. Et, s’il faut des explications annexes, tous les gens qui ont l’occasion de me fréquenter diront qu’il est plutôt intéressant, et parfois agréable, de me connaître personnellement. Enfin, le seul fait que je n’ai pas du tout voulu que m’approchent les désolantes célébrités de l’heure me donnerait, s’il en était besoin, un prestige suffisant auprès de ceux qui ont eu la malheureuse obligation de les côtoyer.
Or cette amitié était très mal vue dans les milieux du cinéma. Gérard Lebovici menait en quelque sorte une double vie de producteur en vue (produisant Alain Resnais, François Truffaut, etc.) et de mécène, politiquement engagé, d’artistes et penseurs révolutionnaires et contestataires. Lebovici avait même acheté une salle parisienne pour projeter, en continu, les films de Guy Debord qui dynamitait le cinéma de l’intérieur en tentant, par des procédés de montage comportant de longues séquences noires, de produire sur grand écran une révolution du type de Malevitch avec « carré blanc sur fond blanc ».
On a dit que cette salle coûtait très cher, puisqu’il n’y avait presque pas de public. Les commerçants aujourd’hui ne se sentent plus. La société marchande, au XIXème siècle, n’avait pas encore atteint ces extrémités. Elle trouvait sans doute scandaleux que Mallarmé écrivît, mais pour d’autres raisons. On ne lui aurait pas reproché sur ce ton le caractère non rentable de ses ouvrages. Gérard Lebovici ne s’intéressait aucunement à l’argent. Moi non plus, on le sait ; et ceci n’est qu’un des nombreux points par lesquels nous nous ressemblions. Son caractère était tel qu’il était porté à répondre violemment à des situations anormales dont les autres s’accommodaient, ou peut-être même ne sentaient pas. L’inconcevable manière dont les journaux ont commenté son assassinat m’a conduit à décider qu’aucun de mes films ne sera plus projeté en France. Cette absence sera un plus juste hommage.
Guy Debord n’étudie pas les pistes possibles de l’assassinat de Lebovici et ne livre aucune clef (contrairement à ce que semble sous-entendre l’article wikipedia sur l’assassinat de Gérard Lebovici). Debord se contente de dénoncer les élucubrations des journalistes et de la police, qui font l’hypothèse abracadabrante d’une vengeance des milieux du cinéma ou, soupçonnant Guy Debord d’entretenir des liens avec des groupes terroristes et/ou anarchistes révolutionnaires (Action directe, Brigades rouges, etc.), suspectent que Gérard Lebovici, qui était très riche, a été abattu en représailles d’un refus de financement de leurs activités. Guy Debord martèle à de nombreuses reprises que les terroristes d’extrême-gauche n’ont aucune filiation avec le situationnisme et que rien, à part les raccourcis des journalistes-policiers, n’étaye l’hypothèse que Lebovici les cautionnait ou les finançait (néanmoins, il faut noter que Lebovici avait beaucoup de sympathie pour Mesrine et avait prévu de rééditer ses mémoires).
Nota : suite à ma lecture, j'ai fait quelques recherches sur internet et suis tombé sur des exemples de lettres d'insulte, dont Gérard Lebovici était visiblement coutumier. Violentes et acerbes, elles ont dû lui valoir de solides inimitiés... On trouve sur internet un échange de lettres (datées de 1980) entre Lebovici et Renaud, qui a du répondant !
Les éditions
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Considérations sur l'assassinat de Gérard Lebovici
de Debord, Guy
G. Lebovici
ISBN : 9782851841568 ; 01/01/1985 ; 116 p. ; Broché
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