Dukla
de Andrzej Stasiuk

critiqué par Tistou, le 23 avril 2018
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Dukla, en Pologne, comme un port d’attache …
« Andrzej Stasiuk est né à Varsovie en 1960. Militant pacifiste dans sa jeunesse, il passe deux ans en prison pour avoir refusé de faire son service militaire, expérience qu’il racontera plus tard dans Mury Hebronu (Les Murs d’Hébron). Après avoir travaillé pour des journaux clandestins au temps de Solidarité, il quitte Varsovie en 1986 et s’établit dans un petit village à l’extrême sud de la Pologne. En 1996, il y fonde avec Monika Sznajderman, sa femme, la maison d’édition Czarne. En 2005, il reçoit le prix Adalbert Stifter ainsi que le prix Nike, équivalent polonais du prix Goncourt. »
Polonais donc, on pourrait qualifier Andrzej Stasiuk de « Nicolas Bouvier de l’Europe de l’Est » ! Comme Nicolas Bouvier il a cette capacité à saisir des détails insignifiants d’un lieu, de personnages, de moments d’un voyage, à les saisir et à nous les donner comme preuves intangibles d’une réalité proprement indescriptible. Comme l’art d’une description en creux ; définir les « autour », les à-côtés, pour mieux faire sentir l’insaisissable. Mais de l’Europe de l’Est (ou celle qu’on appelait ainsi avant la chute de Mur – vous savez ce fameux mur en ex-RDA), exclusivement de cette Europe là qui semble obnubiler notre Andrzej Stasiuk.
Romancier il n’est point. Sur les quatre ouvrages lus à la file aucun ne raconte une histoire complète, continue. Ce sont toujours des fulgurances. De lieux, de pays ou de personnages. De courts chapitres qui souvent constituent un tout, à relier, ou pas, au reste. Quant au style, il est remarquable. Peut-être aussi est-il remarquablement traduit ? En tout cas la lecture d’Andrzej Stasiuk est une lecture exigeante. De par les sujets, les thèmes abordés et par la sophistication de son écriture. A contrario on dira que ses ouvrages ne sont pas des « page-turners » !

« Dukla » est une petite ville de l’extrême Sud-Est de la Pologne, en Galicie, à la frontière slovaque et dans le massif des Carpathes. Tel que Andrzej Stasiuk nous décrit « Dukla », c’est un peu sa « madeleine » à lui. Et je me sens tout ému de songer que j’ai dû y passer lors d’un pas si vieux voyage au Sud de la Pologne, le long de la frontière slovaque jusqu’à la frontière ukrainienne.
Comment décrire cet ouvrage ? Un roman ? Pas vraiment. Des nouvelles ? Pas davantage. Un essai ? Que nenni. En fait Andrzej Stasiuk ne nous parle que de Dukla. Mais un Dukla de toutes les époques. Un Dukla vers lequel il revient inlassablement comme de la limaille par un aimant attiré.
Imaginez un photographe qui prend la même photo du même lieu mais à des heures de la journée, des lumières, des saisons, différentes. Et bien c’est un peu l’équivalent de ce que nous livre Andrzej Stasiuk. Ca vous a comme un côté obsessionnel. Il y a là-dedans une non-histoire totalement assumée. On ne sait pas s’il y a un dessein. Ou plutôt si, on le sait. Il n’y a que Dukla et la correspondance avec différentes périodes, différents épisodes, de sa vie.
Oh, pas des épisodes croustillants, une non-histoire ai-je dit. Un seul héros : Dukla.

« Dukla. Quelques ruelles, une église, un monastère et les vestiges d’une synagogue avec ses bouleaux rachitiques agrippés aux murs quelques mètres au-dessus du sol. On était dimanche. Devant l’église Marie-Madeleine, le curé bénissait un troupeau de voitures fraîchement briquées. Plus loin, des Ukrainiens avaient étalé leur marchandise sur les capots poussiéreux de leurs Jigouli. Bras croisés, ils observaient cette cérémonie barbare. Leurs voitures avaient parcouru des milliers de kilomètres sans la moindre bénédiction. La qualité de leur marchandise semblant toute relative, les élégants fidèles qui passaient près d’eux les snobaient. »

« Dukla », c’est typiquement le roman que vous pouvez lire à l’envers. Commencer par la fin, le milieu, le début, quelle importance ? de toutes façons, c’est Dukla !