Sous les bouclettes
de Gudule (Scénario), Mélaka (Scénario et dessin)

critiqué par Shelton, le 30 avril 2018
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
A ne pas manquer !
Certaines bandes dessinées peuvent nous toucher plus que d’autres en raison du thème, de l’auteur, du style, du graphisme, des couleurs, des lieux évoqués… Donc, soyons clairs dès le départ, cette bande dessinée, Sous les bouclettes, de Gudule et Mélaka, magnifique roman graphique, m’a bouleversé et réjoui le cœur !

Il faut dire que Gudule ne m’était pas inconnue, que son décès m’avait touché, que sa disparition avait créé un choc… C’était en 2015 et même si c’était dans les années quatre-vingt-dix que nous nous étions beaucoup rencontrés, je pensais souvent à elle… Surtout quand j’interviewais son fils Olivier Ka…

Gudule était une excellente autrice – elle préférait écrivaine – pour la jeunesse. J’ai eu l’occasion de la rencontrer assez souvent pour des romans de qualité que l’on continue de lire et faire lire comme La vie à reculons, La bibliothécaire, L’envers du décor, Mon petit-frère est un extra terrestre… Parfois, il nous arrivait de parler de bandes dessinées, elle m’a parlé de son père, d’Hergé…

A chaque fois le temps se figeait, j’oubliais les rendez-vous suivants et je visitais un pays étonnant en compagnie d’une femme pleine d’imagination qui savait tout raconter y compris les petites choses de la vie quotidienne… On ne savait pas toujours si tout était vrai ou arrangé mais elle disait qu’elle avait été sur les genoux d’Hergé, on y croyait, on était là à leurs côtés… et tout était merveilleux !

Je ne savais pas encore – Mélaka le raconte dans son livre – que Gudule avait lu presque tous ses Tintin dans des ouvrages dédicacés par Hergé lui-même, livres qui semblent avoir disparu aujourd’hui… Mais qu’importe tout cela, j’ai dans ma mémoire des récits superbes où Gudule y est reine et je retrouvais cette femme en lisant Sous les bouclettes, d’où un bonheur réel et une émotion profonde…

Mais jusqu’à maintenant, je ne connaissais pas cette fameuse Mélaka, fille de Gudule. Dès que j’ai eu en main l’ouvrage, j’ai été submergé par l’émotion car Gudule était là avec moi, séduit par la narration graphique de Mélaka qui raconte comme sa mère par les mots mais aussi par le dessin… Alors, bien sûr, si je vous dis que cet ouvrage raconte les derniers mois de Gudule, sa maladie, sa mort… vous allez partir en courant car cela vous semblera trop glauque, trop lourd, trop pathos… et, pourtant, cet ouvrage n’est pas triste ni désespéré. Il est grave, parfois plein de tristesse mesurée, souvent drôle et tendre, agréable à lire et plein de vie !!!

En fait, Mélaka salue une dernière fois sa mère, lui dit au revoir ou adieu… mais, en fait elle ne la quitte pas. Gudule est toujours là et comme je disais à Mélaka, j’avais le sentiment de voir sa mère au-dessus de mon épaule quand je lisais son roman graphique… On peut construire son deuil de plusieurs façons et Mélaka choisit de le faire avec des phrases de Gudule, des images de Gudule, des souvenirs, les siens ou ceux de sa mère… Cela finit par respirer totalement la vie même si dans la vie, il y a la vie et la mort…

Alors, une fois passée mon émotion, une fois pris un peu de distance avec Gudule que j’avais connue et appréciée, j’ai tenté de voir tout ce que ce livre avait de bon et positif pour un lecteur qui n’aurait pas connu Gudule.

Il y a tout, d’abord, dans cette aventure de Gudule, une dimension humaine indéniable et universelle. C’est la vie d’une famille avec la vie et la mort, l’amour et la tendresse, l’affection et le bonheur, la tristesse et la maladie, la jeunesse et la vieillesse, la lassitude et la souffrance… Il y a des moments lourds et d’autres beaucoup plus légers, il y a une tumeur au cerveau et les premiers apprentissages des enfants… et c’est bien ce qui rend cet ouvrage agréable à lire, acceptable et même joyeux…

Les évènements majeurs de la vie publique et de l’histoire sont bien là, comme la destruction des tours jumelles de New York ou les attentats contre Charlie à Paris. Mais le plus important réside dans une bonne tasse de « Bonjour » ou une descente pénible de l’escalier…

Mélaka raconte son vécu, son ressenti, sans cacher les hauts et les bas, sans masquer ce qui se passe réellement autour de Gudule…

« C’est vrai qu’elle va mourir Gudule ? »

Elle tente d’affronter tout de face et on sent bien que ce ne fut pas facile à vivre tous les jours et probablement cruel à écrire et dessiner. Cela renvoie chacun à ses expériences car beaucoup ont ainsi accompagné un membre de la famille en fin de vie. Elle montre la richesse humaine quand on arrive à faire rester la personne dans sa maison, dans son environnement… Mais une fois tout cela vécu, il a fallu en faire un livre…

Par exemple, dessiner sa maman Gudule, déformée par la cortisone et la douleur, ayant perdu ses cheveux à cause de la chimio ou tout simplement de mauvaise humeur après une nuit blanche à cause de la douleur et de l’angoisse… ce n’est ni simple ni agréable ! Faire revivre une Gudule silencieuse, attendant tout des autres, incapable de faire rire… et il y a aussi cela dans le livre et chacun retrouvera des scènes fortes qui ont été vécu ici ou là… Mais cela fait bien partie de la vie !

J’ai réellement adoré cette narration graphique simple, efficace et qui porte en son cœur une force de vie étonnante… une peu comme si la vitalité de Gudule atteignait Mélaka dans son récit et son dessin… Bon sang ne saurait mentir et je suis bien certain que Gudule a aidé plus d’une fois Mélaka dans son travail, dans son récit, dans son deuil, dans sa survie…

Finalement, cet ouvrage porte à la fois la cruauté de la destinée humaine – certains pourraient dire absurdité car elle déclare sa tumeur au cerveau juste après avoir accompagné son compagnon Romain jusqu’à la mort avec un cancer de l’estomac – et aussi la vitalité et l’imprévisibilité de nos vies puisque c’est au moment où la mort approche qu’elle tombe amoureuse d’un homme qui va l’accompagner jusqu’au bout avec un courage incroyable… C’est quand même beau l’amour, non ?

Oui, ce roman graphique est un résumé de la vie humaine et c’est bien pour cela qu’il peut plaire à tous les lecteurs et lectrices, de tous les âges, de toutes les cultures et de toutes nos régions…
Le crépuscule de Gudule 8 étoiles

Les bouclettes du titre, ce sont celles d’Anne Liger-Belair alias Gudule, une femme rebelle et attachante, écrivaine de métier, connue notamment pour sa participation au journal Harakiri dans les années 70. Et sous ces bouclettes, une âme originale et riche d’une vie foisonnante. Mais aussi une saleté de tumeur, infâme parasite cervical qui finira par avoir raison de la joie de vivre et de l’énergie de sa proie. Un gliome sournois, rebaptisé « Guillaume » par Gudule, à la fois par malice mais aussi comme pour mieux le domestiquer et l’affronter.

Mélaka, quant à elle, s’est servi de son art comme un exutoire. C’est peu de temps après la mort de sa mère, avec qui elle entretenait un rapport fusionnel, que lui est venue l’idée, de façon tout à fait naturelle, d’écrire cette bande dessinée. Elle qui dit détester le premier degré, est parvenue à faire d’une expérience tragique et pénible un récit vivant, bourré d’humour et presque joyeux, mais qui n’en reste pas moins poignant. De la part de celle qui chapeaute aujourd’hui le Psykopat avec son fondateur de père, Paul Karali (alias Carali), on ne pouvait s’attendre à quelque chose de plombant. Et pourtant. Car cette femme extraordinaire, qui perd son compagnon Sylvain, emporté également par la maladie en début d’ouvrage, sera à son tour touchée par le cancer seulement trois mois après. On se pince pour croire qu’une telle injustice puisse ne pas sortir tout droit d’un mauvais mélo. C’est ce qui rend la chose unique, et le lecteur peu enclin au pathos ne s’en plaindra pas. L’excellente idée qu’a eue Mélaka, elle qui rêvait de produire un livre avec Gudule, a été de piocher dans les écrits de sa mère et de les insérer dans son récit après les avoir mis en dessin, comme si réellement l’ouvrage avait été écrit à quatre mains. Et pour plus de clarté, un judicieux code couleur permet de distinguer les deux auteures : sépia quand la narratrice est Gudule, bleu quand il s’agit de Mélaka. Il faut dire que les anecdotes de Gudule contribuent pour beaucoup à la légèreté du récit. Souvent cocasses, ces tranches de vie révèlent le côté gaffeuse d’une personnalité qui avait fini par s’en accommoder en riant d’elle-même. On découvre également un esprit libre et combattif qui voulait s’affranchir d’une éducation religieuse stricte et de tous les dogmes d’une manière générale. Et puis il y a aussi le dessin, dont la rondeur burlesque rappelle un certain Matt Groening, apporte une belle fraîcheur au récit.

« Sous les bouclettes » se révèle non seulement un vibrant hommage d’une fille à sa mère (« un cri d’amour, un cri d’adieu » dit Mélaka en préface), mais un témoignage généreux et bouleversant qui touchera tout le monde de près ou de loin. Sa portée est puissante, comparable sur le thème de la maladie à « L’Ascension du Haut-mal » de David B. Enfin, on ne saura refermer cette chronique sans citer Castor, le dernier grand amour de Gudule, qui aura accompagné cette dernière jusqu’à la fin, avec tendresse et dévouement. Celui qui fut son « ange gardien » - la rencontre se produit peu de temps après la mort de Sylvain -, lui aura évité la double peine de terminer ses jours dans un hôpital. Mélaka lui a d’ailleurs très légitimement dédié cet album, énorme coup de cœur il va sans dire.

L'interview de Mélaka : https://www.youtube.com/watch?v=yTted_ywWQ8

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 9 juin 2018