La toile du paradis de Maha Harada

La toile du paradis de Maha Harada
(Rakuen no canvas)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique

Critiqué par Débézed, le 5 mai 2018 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 9 étoiles
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La passion de Rousseau

En 2000, à Kurashiki au Japon, Orie Hayakawa est surveillante au musée d’art Ohara mais personne ne sait que c’est une grande spécialiste de la peinture moderne et notamment du Douanier Rousseau. Elle est revenue au pays quand elle était enceinte de la jolie adolescente eurasienne qui partage désormais sa vie. Un jour, son patron la convoque car le Directeur du MOMA exige sa présence lors de la négociation pour le prêt éventuel d’une célèbre toile du Douanier Rousseau à l’occasion d’une exposition organisée par le musée d’art Ohara. Cette invitation la trouble, elle lui rappelle son séjour à Bâle en 1983.

En 1983, Tim Brown est assistant-conservateur au MoMA à New-York auprès du conservateur Tom Brown, pendant les vacances de ce dernier, il reçoit une invitation impérative du célèbre et mystérieux collectionneur bâlois Konrad Beyler lui enjoignant de rejoindre Bâle pour expertiser une toile inconnue du Douanier Rousseau. Tim pense que cette invitation s’adresse à Tom mais décide tout de même de se rendre à Bâle où il rencontre une autre experte, la Japonaise Orie Hayakawa, alors domiciliée à Paris. Le célèbre collectionneur propose un jeu un peu pervers aux deux experts, il leur demande d’expertiser une toile d’Henri Rousseau à partir de la lecture d’un vieux livre qu’il possède. Celui qui fournira l’expertise la plus convaincante pourra disposer de ce tableau jusqu’alors inconnu et presque en tous points semblable à celui qui est accroché aux cimaises du MoMA : « Le rêve ». Les deux invités acceptent ce jeu étrange, mais bientôt des éléments parasites gravitent autour de cette expertise, le monde de l’art est en ébullition, les sommes en jeu sont colossales.

L’agitation gagne les musées, le MoMA, le MET, la National Gallery de Washington, la Tate Gallery, les marchands d’art : Sotheby’s, Christie’s, d’autres grands musées d’art moderne : Le Louvre, le Musée Ohara, le Kunstmuseum Basel, … qui sont eux aussi attentifs à cette grande manœuvre. Les deux experts se retrouvent au centre de pressions de plus en plus oppressantes qui s’ajoutent à leurs convictions, à leur passion, à leurs désirs et à leurs intérêts personnels. Maha Harada évolue avec une aisance impressionnante au milieu de ces cabales et intrigues mais surtout dans l’histoire et l’interprétation des tableaux de Rousseau et de Picasso qu’elle semble connaître tout aussi bien que les experts qu’elle a convoqués dans son roman.

C’est le roman d’une grande experte en matière d’art moderne, d’une spécialiste du célèbre douanier, d’une auteure talentueuse qui conduit son histoire sans jamais laisser baisser l’intensité mais en ne sombrant jamais non plus dans une mauvaise intrigue pseudo policière. Toute l’histoire est fondée sur la passion : la passion que le peintre eut pour son modèle, la passion que les experts éprouvent pour ce peintre, la passion dévorante que le collectionneur Beyler a toujours pour cette toile, et d’autres passions qui se dévoilent ou naissent au fur et à mesure que l’expertise avance.

Pour que son histoire reste limpide, que la vie de Rousseau ne se mêle pas à celle de ses admirateurs, l’auteure utilise trois polices différentes pour écrire son récit : une utilisée par le narrateur écrivant à la troisième personne, une autre employée pour rapporter à la première personne les propos du héros, le plus souvent Tim Brown, et la troisième utilisée pour reproduire le livre remis aux experts, il raconte les dernières années de la vie de Rousseau. Et le tout donne un roman très émouvant sous-tendu par une culture artistique impressionnante et une passion débordante pour ce peintre si particulier. Les amateurs de peinture moderne ne lâcheront pas ce livre avant de l’avoir achevé, Maha Harada ne les laissera pas en paix avant qu’ils aient bien compris tout ce que Rousseau signifie pour la peinture contemporaine en commençant par Picasso. Et surtout pas avant qu’ils l’appellent par son vrai nom : Henri Rousseau et non pas par sa fonction le Douanier Rousseau car il était peintre bien avant d’être douanier, petit employé à l’octroi de Paris.

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