L'entremetteuse de Léon Daudet
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Par quoi le scandale arrive
Après avoir recensé plusieurs ouvrages de chronique littéraire, où sa verve fait merveille, j’avais envie de découvrir l’œuvre romanesque de Léon Daudet. Une note de « Paris vécu » concernant le quartier du Marais m’a décidé à choisir ce titre : « Une vieille maquerelle, un Goya, me proposait, de sa griffe tendue, une jolie fille aux yeux de biche, au teint mat, serrée dans un corsage de velours vert à parements d’or. Sa jupe, assez courte, laissait voir des jambes de Diane, nues et mal lavées, terminées par des pieds exquis, posés à plat sur la pierre noire. Ce fut là l’origine visuelle de mon roman " l’Entremetteuse ". ."
La scène inaugurale en est tout à fait étonnante : une jeune enfant de la campagne profite de l’absence de sa mère pour faire venir à la maison, où son père est resté seul, une voisine accorte, afin que tous deux puissent assouvir leur attirance réciproque. C’est que Mariette, la jeune enfant en question, a eu très tôt la vocation d’entremetteuse. Et c’est sur ce talent particulier qu’elle a gagné une position enviable dans le Tout Paris. Une aventure passagère lui a donné un fils, à présent un jeune homme plein de promesse, étudiant en médecine, qu’elle a réussi à tenir dans l’ignorance de ses activités coupables. Entre lui et Émilienne, la fille de son professeur, se noue une tendre mais timide relation.
Or, voilà qu’un important financier a jeté un regard concupiscent sur la jeune fille. Celle-ci s’inquiète par ailleurs de la situation bancaire de ses parents, grugés par un employé indélicat. Mariette voit l’occasion de réussir un coup magistral en s’entremettant. Elle permettra au financier de rencontrer Émilienne, cette dernière acceptant l’entrevue dans l’espoir d’une aide financière pour ses parents. Le tête-à-tête dégénérera en viol qualifié, décrit sans complaisance par Daudet. Voilà donc la « rouée » ayant jeté dans les griffes d’un vieux pervers le plus cher trésor de son propre fils. C’est une terrible punition qui s’annonce pour elle, quand les choses apparaîtront en pleine lumière.
On le voit, tout le roman est traversé par un courant de dépravation, de sensualité perverse, qui, à l’exception du jeune couple, touche toutes les catégories sociales, depuis les domestiques jusqu’aux hauts fonctionnaires, en passant par la jeune bourgeoise, et même la paysanne. De là le scandale auquel Daudet a dû faire face, et qui trouve peut-être son origine dans des pages telles que celle-ci : « Après le repas, le juge fit subir à la paysanne un long interrogatoire. Il en retira seulement cette conviction qu’elle avait de nombreux amants et que son vieux mari ne la gênait guère. Il songeait que, l’affaire une fois close, il y aurait là, dans cette maisonnette ou ailleurs, mais avec cette belle et souple créature, un moment agréable à passer. Il en est des magistrats comme des médecins. L’exercice de leur profession ne les met à l’abri – et bien au contraire- ni des tentations ni des faiblesses. La nudité des âmes, comme celle des corps, incline à la concupiscence. » Certains, surtout dans les rangs catholiques dont fait partie Daudet, ont dû trouver la limite dépassée, et contraint l’auteur à retirer le roman de sa liste d’œuvres.
Même si l’œuvre manque un peu du « tremblement » qui fait les chefs-d’œuvre, elle se laisse lire très agréablement, et sans avoir le mordant de ses chroniques, elle possède quelques lubies de son auteur : la bonne chère, la culture littéraire, l’exploration du milieu médical, l’attrait pour la gent féminine, et par-dessous tout, les vicissitudes de la vie parisienne.
Notons qu’elle est dédiée à « Marcel Proust, maître de l’introspection, histologiste de la vie intérieure », par « son vieil ami, Léon Daudet »
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