Jeu de miroirs
de Andrea Camilleri

critiqué par Pierrot, le 22 mai 2018
(Villeurbanne - 72 ans)


La note:  étoiles
Le miroir à deux faces.
Résumé de l'éditeur :
Tandis que la mafia sévit à Vigàta avec des incendies, des fusillades, des disparitions, le commissaire Montalbano rencontre une très séduisante voisine qui semble tenir beaucoup à rendre publique leur liaison. Puis un mystérieux correspondant joue au chat et à la souris avec le commissaire, lui tend des pièges où il risque de perdre d’abord son honorabilité et ensuite sa vie. Tiraillé entre le combat contre la corruption qui assaille sa ville et la présence …


Page 167.
Elle les laissa seuls. Le commissaire se leva et alla regarder les photos encadrées qui représentaient toujours le même beau garçon, en tenue de marin, le jour de son mariage, ou bien perché sur une grue.
-C’est mon fils ‘Ntonio. Il besogne à La Spezia, dit Cuncetta avec orgueil, en revenant avec le café.
Qui était bon.
-Qu’est-ce que vous voulez savoir sur cette grosse radasse ? attaqua Cuncetta .
Aimable préliminaire.
-Pourquoi l’appelez-vous comme ça ?
Passque c’est pas ‘ne femme honnêt. Et aussi culotté, sans un minimum de, comment on dit, pudeur ! Nue, elle se promenait chez elle ! Et moi, je sais bien, comment je retrouvais le lit certains matins, quand son mari était là ! Rien qu’à voir dans quel état les draps, ça faisait venir des idées…Et lui, le mari, ‘u curnutu, le cocu, il était jamais à la maison. On aurait dit qu’il le faisait exprès pour laisser la place à sa radasse de femme !
-Comment se comportait cette dame avec vous ?
-La dame ? Y avait jamais rien qui allait ! Moi, je me cassais cul, sauf votre respect, toute la matinée et elle me téléphonait du magasin pour me dire qu’elle avait atrouvé la salle de bains sale . Sûr qu’elle restait sale avec toutes les cochonneries qu’ils faisaient dedans et dehors de la baignoire ! Et puis, elle m’a baisée cette salope !
-Dans quel sens ?
Tentative d’ensorcellement 8 étoiles

Il s’agit bien sûr d’un nouvel épisode du commissaire Montalbano, de Vigata (cité fictive), en Sicile. Les « aficionados » de Montalbano comme de Camilleri n’auront pas besoin de la précision ci-dessous, néanmoins pour celles et ceux qui découvriraient le phénomène Camilleri, précisons :

Andrea Camilleri est un admirateur, et un traducteur en italien, de Georges Simenon. Ce n’est pas par contre Georges Simenon qui traduit Andrea Camilleri, c’est Serge Quadruppani, qui se donne beaucoup de mal puisqu’il explique en avant-propos les dispositions qu’il prend pour tenter de restituer la langue de Camilleri. C’est que Camilleri n’écrit pas en italien, il écrit en sicilien, qui présente quelques différences d’avec l’italien. Du coup ça donne un langage, le parlé, auquel il faut … s’habituer.

Qu’il est doux de se couler dans la peau de cet esthète qu’est le commissaire Montalbano, devenu vieux, loin des trépidations et violences habituelles des polars. Ici la seule violence que subit Montalbano, c’est la tentative poussée de séduction exercée par Liliana, sa (trop) belle voisine d’origine turinoise. Esseulée la plupart du temps et manifestement déterminée à se montrer (très) proche du commissaire :

« Puis Liliana lui prit la main et, vacillant un peu, l’emmena dans sa chambre à coucher.
Elle alluma, la fenêtre était ouverte.
Elle se laissa aller sur le lit et tendit les bras vers Montalbano en souriant.
A c’te point, le commissaire se vit tout à fait perdu.
Son pied droit exécuta un pas vers le lit alors même que la coucourde lui ordonnait, avec toute l’autorité dont elle était capable, de rester immobile, de ne pas bouger.
Le pied gauche suivit son collègue avec un égal enthousiasme.
Seule une intervention surnaturelle pouvait le sauver de l’abîme auquel il était désormais destiné.
- Allez, viens ! »

Quel suspense torride ! C’est qu’elle fait tout pour se montrer en sa compagnie et faire en sorte qu’on les croit intimes, la belle Liliana. Bon, le commissaire Montalbano n’est pas stupide non plus. S’il croit volontiers en son charme, il est bien conscient que quelque chose se cache là-dessous.
Par ailleurs, deux petites bombes artisanales ont éclaté, sans trop de dégâts devant des devantures de commerces vides. Avertissement de la Mafia ? Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent, comme dans un jeu de miroirs et Montalbano entre deux repas, toujours aussi succulents, chez Enzo ou préparés par la bonne Adelina, avance lentement mais sûrement dans la dissipation de ce brouillard dans lequel on veut le plonger, et nous avec.
La Sicile est une belle et bonne terre. Potentiellement dangereuse mais nous sommes protégés et encadrés par ce bon commissaire Montalbano et on y est à Vigata. On profite de sa lumière et de ses paysages, on mange sa cuisine à damner un saint … Dommage que Vigata n’existe pas ! Pourtant, je vous le garantis, en Sicile Montalbano a semé ses traces un peu partout. Un vrai phénomène ce Montalbano !

Tistou - - 68 ans - 16 août 2019