Pierres noires: Les Classes moyennes du Salut de Joseph Malègue
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Un chef-d'oeuvre oublié
"Pierres Noires" est le grand roman inachevé de Malègue, l'auteur avait prévu d'en faire une trilogie mais il n'a pu écrire que les deux premiers volumes. Du troisième volume on n'a que l'ébauche et des indications de l'auteur sur son plan général. Selon le préfacier (José Fontaine), qui signe une préface très inspirée, il s'agit du sommet de l'oeuvre de Malègue, qui place son roman le plus connu "Augustin ou le maître est là" dans une perspective plus large. Malheureusement "Pierres Noires" n'a pas connu le succès qu'il méritait lors de sa première parution: il avait été mal compris et surtout mal présenté.
La première partie, la plus longue (elle fait les deux tiers de l'ouvrage), est constituée des souvenirs d'enfance de Jean-Louis Vatton (un camarade de classe dans "Augustin"). Dans une petite ville d'Auvergne, sur fond de déchristianisation et de déclin de la classe sociale liée à l'église, le narrateur raconte ses souvenirs on y posant un regard a postériori et un discernement des choses que lui confère sa vieillesse. C'est un long récit qui prend son temps, dans une langue poétique et très littéraire, qui suggère sans forcer, le lecteur peut laisser son imagination courir le long de ce pays merveilleusement évoqué. Le récit est dense et il faut parfois revenir en arrière pour s'y retrouver dans les personnages et leur familles.
La deuxième partie, plus courte, raconte l'histoire d'un amour contrarié entre un brillant jeune homme d'une grande famille et une jeune fille elle aussi d'une grande famille mais déchue. Le personnage de Jacqueline est particulièrement marquant et est superbement évoqué.
La troisième partie devait être centrée sur le personnage clé, Félicien Bernier (qui apparaissait également dans "Augustin") un jeune garçon qui cherche sa vocation et qui donne son sens profond au roman de Malègue. Un thème majeur dans son oeuvre est celui de la "classe moyenne du salut", c'est à dire la grande masse des chrétiens qui pratiquent la religion mais ne sont pas prêts à suivre l'appel radical du Christ. Ils vivent leur foi comme un pacte donnant-donnant avec Dieu, la pratique devant être récompensée par un bonheur matériel sur terre. Confusément le narrateur de la première partie, qui a perdu la foi mais reste proche de l'église, perçoit chez son ami Félicien Bernier des signes d'une spiritualité d'un autre niveau, à travers ses souvenirs il évoque une Sainteté qui opère de manière cachée. De manière mystérieuse, ce sont ces Saints qui opèrent dans le secret qui sauvent les classes moyennes du salut, c'est à dire la masse des chrétiens médiocres (dont nous sommes quasi tous).
Celui qui a aimé "Augustin" aimera "Pierres noires", on y retrouve la même écriture somptueuse et l'évocation d'une période et d'un pays. Le livre est bien édité (grands caractères agréables) et la préface de José Fontaine - qui est vraiment un spécialiste de Malègue - est très éclairante. Après avoir lu la première partie, j'ai lu la préface et ça m'a décidé de relire le livre depuis le début, armé des clés de lectures qui rendent l'oeuvre encore plus riche. José Fontaine a également consacré un essai à Malègue, que je vais m'empresser de lire !
Les éditions
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Pierres noires: Les Classes moyennes du Salut
de Malègue, Joseph
Ad solem
ISBN : 9782372980647 ; EUR 26,00 ; 18/04/2018 ; 816 p. ; Broché
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Merci à Saule
Critique de José Fontaine (, Inscrit le 23 août 2016, 79 ans) - 12 novembre 2019
En fait — c'est d'autant plus vrai et mieux que cela ne se voit pas — Malègue a entrepris de comprendre les deux grandes crises du christianisme dont il a été le contemporain.
Le modernisme qui met en doute l'authenticité des écritures chrétiennes —il le fait en réalité à partir de Blondel, personnage central de cette crise avec celui avec lequel il dialogue, l'abbé Loisy qui sera excommunié, sans doute pas à ,juste titre (dans sa correspondance privée Blondel traitait durement l'autoritarisme de l'Eglise).
C'est dans "Augustin ou Le Maître est là".
La déchristianisation qui lui est liée, c'est dans "Pierres noires". Tout le roman est inspiré par la très grande philosophie de la religion de Bergson et cette opposition entre la religion statique (qui se confond avec le conformisme social) et la mystique qui rompt avec ce conformisme.
Il suffit d'aller lire quelques articles de Wikipédia sur des résistants comme Jacques Bingen ou Noëlla Rouget. Leur supériorité dans l'ordre de l'amour stupéfie comme le Félicien de Malègue.
C'est la grande qualité — mais littéraire!—que je trouve chez Malègue d'avoir réussi cette transposition de deux pensées en un récit où elles se grandissent elles-mêmes, du fait d'être mises en récit. parce que pensées concrètes, de vie, elles ne pouvaient s'achever que de cette manière.
Cette dimension qui fait de Malègue un écrivain vraiment pas ordinaire, je tente de la montrer dans des revues savantes. C'est fait pour Blondel et j'espère que cela sera bientôt fait pour Bergson. Je pars après-demain à Paris où je dois rencontrer un professeur de lettres à l'université. Nous allons tout faire pour que cette dimension de Malègue soit enfin pleinement consacrée par la critique en espérant que cela donne lieu à d'autres découvertes dans le véritable trésor de réflexion, d'amour, de beauté, de mystique qu'est son oeuvre.
Merci encore,
José Fontaine
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