La danseuse de Maryse Latendresse

La danseuse de Maryse Latendresse

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 11 juin 2018 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 7 étoiles
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L'Art d'aimer et l'Amour de l'art

Le besoin d’aimer et d’être aimé nous suit comme un boulet jusqu’à la mort. La vie épouse le parcours du désir qui mène à l’autre, malgré les souffrances qu’il comporte. Qui s’y frotte, s’y pique, dit l’adage. Maryse Latendresse s’applique à le démontrer de belle façon. Son héroïne Ana est une ballerine qui vit en couple avec Louis, un romancier qui protège jalousement ce qu’il écrit de la curiosité de sa conjointe. En son absence, elle en profite pour feuilleter les carnets de son dernier manuscrit. Déception, elle y lit une histoire d’amour qui lui laisse croire qu’il est épris d’une autre femme, en l’occurrence son professeur de danse.
Ce canevas laisse apparaître un triangle imaginaire, marqué par la rivalité. Ana veut connaître la vérité. Mais son cœur ressemble à une jungle où il lui est facile de s’égarer. Elle reproche à son amant de la tromper, et sur la foi de cette accusation commence un cheminement identitaire qui la découvre à elle-même. L’amour ne meurt pas, il prend forme autrement. C’est ce qu’Ana apprend auprès d’Alina Lith, son professeur de danse, une femme de 40 ans. Elle sait bien se servir de son art pour exprimer sa sensualité qu’elle espère enseigner à sa protégée. C’est à travers le corps que monte le désir qui mène à l’autre. Et la danse devient ainsi une écriture corporelle aussi significative que la plume d’un bon écrivain. Mais qu’advient-il quand l’art franchit les portes de la profession? Comme ballerine, Ana s’est donné la mission de révéler la complexité du cœur humain. S’y faisant, elle a débroussaillé le sien.
Cette percée du désir exige une grande attention de lecture malgré la fluidité de l’écriture. L’auteure s’en tient aux lois qui prédisposent le cœur à l’amour sans tenir compte des particularités de ses personnages. La matérialité s’efface au profit d’une dimension universelle des relations humaines. Cette absence réduit l’œuvre à des abstractions que Clara Ness avait su éviter dans Ainsi font-elles toutes, un roman qui porte sur un sujet connexe. Maryse Latendresse a plutôt cherché à démontrer comment l’art conduit à notre humanité. Elle a atteint son objectif, créant même un suspense sur l’issue de cette vie de couple, mais trop désincarnée pour que nous nous y attachions.
La dualité de la narration accentue ce détachement. Les hypothèses de l’héroïne empruntent artificiellement les chemins de la première et de la troisième personne. Le « il » ne serait qu’une manière de camoufler la subjectivité du « je ». La forme brumeuse de ce roman ne rend que plus plastique l’écriture. La mécanique ravale les émotions au second plan. La phrase est construite comme des mouvements de danse. Les pas de deux sont regroupés en courts syntagmes, souvent nominaux, tandis que les virevoltes font fi de la grammaire et de la ponctuation. Tout est bien cadencé pour conférer de l’unité à ce ballet romanesque, mais au détriment d’une recherche plus approfondie des motivations qui en assurent les assises. Il en résulte quand même une œuvre intéressante, qui sent l’imitation d’un parangon, sur l’art d’aimer et sur l’amour de l’art.

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