Il n'y a pas d'erreur : je suis ici de Éléonore Létourneau

Il n'y a pas d'erreur : je suis ici de Éléonore Létourneau

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 26 juin 2018 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
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Voir Venise et mourir

Que reste-t-il à faire quand il semble que l’on a atteint le bout du rouleau ? À 50 ans, Pierre, un designer, se pose la question. On a vanté son talent comme concepteur du mobilier urbain. On a apprécié en particulier, dans les aéroports, son design de sièges dans les aires d’attente. Mais depuis, son étoile a pali en même temps qu’il n’arrive pas à enrayer une fatigue chronique. Afin de retrouver la forme, il s’offre un petit voyage. Il part donc pour Venise avec un billet en aller simple. C’est une ville qu’il apprécie depuis son séjour il y a vingt ans avec Elga, la femme qu’il a abandonnée.

Venise est à l’image de ce que Pierre est devenu. Son charme ne trompe pas les touristes. Ils sont bien conscients que le temps a accompli son œuvre dévastatrice. Les marées poussent l’eau jusqu’au parvis de la basilique Saint-Marc. Comme l’a écrit Sénèque que cite l’auteure « « Toutes ces cités dont tu entends aujourd’hui vanter la splendeur prestigieuse, le temps ira raser jusqu’à leurs traces. » Si la ville a entendu son heure sonner, Pierre aussi. De jour en jour, sa fatigue s’accroît vertigineusement, à un point tel qu’il se voit contraint de consulter un médecin. Le diagnostic tombe cruellement. Il souffre de sclérose. Comme Venise, le héros est acculé à un sursis qui limite son avenir à un présent qui se meurt.

L’auteure a eu la main heureuse en échafaudant un parallèle entre son personnage et ce milieu touristique renommé. C’est le comble de la souffrance que de subir un martyr qui s’éternise. Mais le malheur fait parfois bien les choses. Pierre a croisé par hasard son ex-femme le long des canaux. Comme musicienne, elle a adopté Venise pour s’adonner à son art. Il faut croire que l’amour, lui, ne meurt pas. Il est en attente d’un vent plus favorable. Elga, malgré leur longue séparation, pousse la magnanimité jusqu’à s’occuper de lui pour le temps qu’il lui reste.

Derrière ce canevas se cachent les ambitions secrètes de l’être humain qui tente d’atteindre l’inaccessible étoile. Faire et être sont des antagonistes. On ne cherche pas à devenir de meilleurs humains, mais à marcher à côté de ses pas pour se couvrir d’une auréole délétère. Comme on l’entend souvent, on veut réussir dans la vie sans vouloir réussir sa vie. De là vient le fait d’écarter de sa prétendue ascension ceux et celles que l’on aime.

En somme, c’est un roman d’amour indicible qui se dissimule à travers la maladie. L’auteure décrit l’évolution de la sclérose dans le moindre détail. Et c’est loin d’être ennuyeux. Éléonore Létourneau a une plume captivante et touchante sans sensiblerie. On ne saurait trop recommander ce roman d’une trentenaire.

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