Requiem - Poème sans héros et autres poèmes
de Anna Andreevna Akhmatova

critiqué par Pucksimberg, le 3 août 2018
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Une oeuvre riche et capitale
Anna Akhmatova est l’une des plus grandes poétesses russes du XXème siècle. Elle a eu une vie romanesque et a connu les plus grands traumatismes de cette période. Elle a côtoyé les grandes figures littéraires russes, a connu les deux guerres mondiales, a perdu de nombreux êtres chers. Son fils Lev a connu la prison et elle raconte ce fait dans certains de ses poèmes. Elle a écrit de nombreux textes sur ces femmes, mères, sœurs, épouses, qui allaient chaque jour devant la prison pour avoir des nouvelles de l’être cher interné. Anna Akhmatova n’a pas toujours été libre d’écrire comme elle l’entendait. Elle a même dû déchirer certains de ses poèmes pour ne pas être appréhendée. Afin de ne pas perdre définitivement ses productions, elle a souhaité que ses proches en mémorisent afin de les coucher sur papier plus tard. Le silence est souvent évoqué dans ses poèmes, évoquant sans doute celui auquel on a voulu l’assujettir.
Cette édition englobe une grande partie de son œuvre, de ses débuts à ses ultimes poèmes. Sont édités ces deux textes les plus célèbres : « Requiem » et « Poème sans héros ».

Certains poèmes du recueil parlent d’amour, à la fois de rencontre et de séparation. Puis il est question de Petrograd meurtrie par les guerres. Le contexte historique et les violences infligées dans le début du siècle sont décrits dans les poèmes les plus célèbres de la poétesse. Et puis il y a ces fantômes qui hantent ces textes, ces morts ou ces êtres du passé pas toujours faciles à distinguer pour le lecteur. Le recueil contient aussi des poèmes sur la création littéraire, sur la Muse et même sur le lecteur. La poétesse éprouve un besoin irrépressible de formuler par écrit ce qu’elle a à dire.

Les poèmes ne sont pas tous évidents sur le plan de la compréhension. Ils sont souvent métaphoriques et cryptés. Heureusement des notes sont là afin de donner quelques renseignements. Dans un tel contexte un discours sans voile pouvait être fort dangereux pour son auteur. Ces textes codés invitent donc le lecteur à interpréter. Anna Akhmatova évoque de nombreux auteurs russes ou personnes qu’elle a fréquentées qui ne sont pas toujours familières du lecteur.

Les descriptions de la nature sont souvent empreintes de mélancolie et ces paysages font rêver le lecteur. On sent l’attachement de cette femme à ces lieux poétiques. Elle n’utilise pas forcément des termes compliqués pour s’exprimer mais l’univers qu’elle dépeint est chargé de symboles et d’allusions qui parfois nous échappent.
Cette édition de Gallimard est précieuse car peu de recueils de cette poétesse sont édités en France. Ici, l'on retrouve une quantité considérable de textes.

L’œuvre d’Anna Akhmatova est forte, intime et courageuse. Ses poèmes, dans leur apparente simplicité, sont porteurs de multiples réflexions. Ils ont une portée universelle malgré l’ancrage dans une époque. C’est une voix qu’il ne faudrait pas réduire au silence et lire pour plonger dans les mystères de cette dame fascinante.