Eleveurs de rennes
de Omruvié

critiqué par Janotusdebragmardo, le 5 juin 2004
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Les Tchouktches: peuple lointain, étrange et si humain
Ce livre court, à l’écriture simple, nous plonge dans une société radicalement différente de la notre : celle des Tchouktches, peuple d’éleveurs de rennes nomades dont le mode de vie remonte à la nuit des temps. Nous assistons aux transhumances vers les estivages, au tri des troupeaux fait à l’aide de lassos, à l'abattage et au dépeçage des bêtes, aux us et coutumes (accueil de l’étranger, consécration du feu avec des plantes de la toundra, l’importance du « chant personnel », des aïeuls…), à l’hiver dur et aux tempêtes, à la renaissance de l’immense toundra au retour de la saison chaude...
Le mode de pensée de ces bergers est totalement tourné ver les rennes qui apportent peau, fourrure, graisse et nourriture ; l’homme de qualité est celui qui a une grande connaissance de ses bêtes, qui sait trouver les bons pâturages, et fait prospérer son troupeau. La vie est adaptée et se déroule en accord avec cette nature si belle mais si dure.
Mais dans cette histoire si éloignée de nos préoccupations, on trouve également de l’universel : l’amour, la confrontation de la tradition et des nouveau modes de vie (ainsi, certains personnages savent lire, les jeunes enfants partent pour plusieurs mois à l’école, et surtout, on assiste à l’arrivée de la collectivisation).
Les Tchouktches vivent dans l’extrême nord-est de la Sibérie, près du détroit de Béring ; sa civilisation est très proche de celle des Inuits. Leurs deux activités principales sont l’élevage des rennes dans les terres et la pêche pour la population côtière. Comme pour beaucoup de peuples minoritaires et limitrophes, la mémoire et la langue des tchouktches sont aujourd’hui menacées.
Pour ceux que cela peut intéresser, on peut trouver chez Acte Sud un autre écrivain Tchouktche, Youri Rytkhéou, auteur entre autre de « La Bible Tchouktche » et du « Miroir de l’oubli ». En ce qui concerne leur civilisation, deux livres de Jean Malaurie (ce n’est bien sûr pas exhaustif) : Hummocks -sorte de journal de voyage dans lequel l’auteur s’intéresse à la place de ces peuples face au colonialisme américain en Alaska et russe en Sibérie- et l’Appel du nord, qui est plutôt un reportage photographique.
Le fin d'une culture 6 étoiles

Au pays de Valentina Veqet, le territoire des Tchouktches, à l’extrême nord-est de la Sibérie, le pays qu’elle a raconté dans « Peaux de phoque », Ivan Omruvié situe ce roman qui raconte lui aussi la vie de ce peuple nomade suivant son troupeau de rennes au gré des saisons et des pâturages qu’il découvre. Ce livre ne serait pas réellement un roman mais plutôt un documentaire sur le peuple tchouktche, s’il ne racontait pas l’opposition entre deux parties de ce peuple au moment de choisir entre la sédentarisation imposée par le pouvoir soviétique et le nomadisme des ancêtres. Après la guerre à laquelle les Tchouktches ont participé, au moins en donnant des rennes pour les attelages militaires parcourant les étendues glaciales de la Sibérie, ils durent opter pour une solution en étant fortement incités pour choisir la nouvelle.

Omruvié, à travers les deux principaux protagonistes de ce roman, mets en scène les deux solutions possibles qui s’offraient à ces éleveurs au moment où le modernisme a atteint les confins de l’Asie du nord-est. Maravié gros éleveur des régions les plus reculées ne veut pas entendre parler de collectivisme et autres formes de mise en commun des troupeaux, il veut garder son indépendance et gérer son troupeau comme ses ancêtres l’ont toujours fait.

« Maravié eut un rire machinal. Que dire ? Il prit sa respiration et parla : soviet national, base culturelle, jaran’e (yourte) rouge, komsomol… Ils se jettent tous sur nous. On dirait une meute de loups qui veut nous exterminer. »

A l’opposé, Enqev, plus jeune, veut vivre selon la vie nouvelle pour réduire le poids de sa tâche mais aussi pouvoir offrir par l’instruction une autre vie à ses enfants, une ouverture sur le monde même si lui n’a qu’un objectif : être un bon éleveur.

« … comment aurait-il pu, sans être secondé, veiller sur le troupeau qu’il avait hérité de son père ? C’était impossible. Vivait-il plus mal depuis qu’il était devenu berger selon la nouvelle vie, depuis que son troupeau faisait partie du bien commun ? Certes non ! »

L’auteur ne semble pas tout à fait indépendant dans le débat qu’il met en scène, il penche nettement pour les éleveurs qui rejoignent la collectivité, ce sont évidemment les bons qui ont tout compris alors que les autres ne sont que des mauvais retors et violents qui ne pensent qu’à eux en exploitant leurs bergers. Il fait dire à un berger la bonne parole qu’il semble vouloir prêcher dans ce roman :

« Nous sommes des maîtres et des éleveurs. Nous avons compris qu’il valait mieux garder les rennes ensemble. Notre vie sera profitable à tous,…. »

Comme Galsan Tschinag l’a raconté dans « Ciel bleu » à propos des éleveurs de l’Altaï mongol, le collectivisme apportait la culture et l’instruction mais détruisait une civilisation. Les Tchouktches n’ont pas échappé à cette destruction surtout après l’effondrement du monde soviétique, il suffit de lire « Unna » et les autres romans de Iouri Rythkeou pour en être convaincu.

Débézed - Besançon - 77 ans - 28 octobre 2017