Jérémie
de Stefan Zweig

critiqué par Pucksimberg, le 17 octobre 2018
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
La défaite est une force
Cette pièce de théâtre de Stefan Zweig met en avant le peuple juif en s’appuyant sur la figure biblique Jérémie dont les rêves sont de funestes présages. Jérémie, c’est l’incompris, celui qu’on isole car il fait peur, celui qui dit des vérités qui impressionnent, celui qui semble laisser parler Dieu à travers lui. Il prédit la destruction des Juifs. Nabuchodonosor avance à grands pas et broie tout sur son passage. Sédécias n’accorde pas beaucoup d’importance aux propos du prophète au départ. La condition des Juifs est souvent évoquée dans cette pièce de théâtre qui a des résonances avec le monde d’aujourd’hui. L’on perçoit clairement l’empathie de l’auteur pour ces hommes. Les hommes qui connaissent l’échec sont plus admirables que les victorieux. Cette vision est intéressante et originale. Le pacifisme de l’auteur est aussi perceptible dans cette pièce.

Les dialogues sont très bien écrits et lyriques. Les moments durant lesquels Jérémie rêve semblent des transes. Ces passages sont écrits en vers et donnent de la force à ses propos. Ils ressemblent à des incantations, parfois métaphoriques, un verbe sacré irréfutable. Les idées qu’il véhicule sont en partie philosophiques mais sont aussi des réflexions sur les stratégies politiques. Jérémie s’oppose parfois au plus grand nombre quand il s’agit de protéger la forteresse. Le bon sens n’est pas toujours dans les évidences. Par ses choix qui peuvent surprendre il est dans le juste et fait tomber les masques. Les hommes qui semblaient agir de manière logique sont peut-être dangereux pour le peuple Juif ou tout simplement peu respectueux de la divinité.

Le contexte biblique est très présent et l’on sent rapidement que cette pièce est engagée. Les dialogues sont riches et prennent le pas sur les actions. Certains pourront trouver le texte trop verbeux, mais c’est aussi ce foisonnement qui fait la richesse de cette pièce, sans doute plus agréable à lire qu’à voir sur scène. Certaines scènes sont fortes, comme celle de la mort de la mère de Jérémie. Ce prophète semble montrer le chemin et être la voix distincte qui retentit dans le flot de paroles collectives et uniformes. C’est un peu la voix des pacifistes qui a dû du mal à se faire entendre et qui est allée parfois à l’encontre de certains choix des dirigeants, choix qui ont pourtant permis de mettre un point à certaines guerres.

« Jérémie » ne ressemble absolument pas à ce que l’on a l’habitude de lire avec Zweig, mais elle est intéressante par son sujet biblique et sa manière d’entrer en résonance avec le monde contemporain de l’écrivain.