Catch 22 de Joseph Heller

Catch 22 de Joseph Heller

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Mauro, le 25 février 2001 (Bruxelles, Inscrit le 20 février 2001, 61 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (842ème position).
Visites : 7 068  (depuis Novembre 2007)

Tout un monde sur trois rochers

Voici le livre dont la lecture changera – pour moi en tous cas - quelque chose à la routine de cette nouvelle année.
Un univers délirant, rappelant par de nombreux aspects le «Voyage au bout de la nuit» de Céline. Ça se passe à la fin de la deuxième guerre, dans une escadrille de bombardiers américains logée sur la petite île toscane de Pianosa, à quelques kilomètres au sud de l'île d'Elbe. Dans la réalité, Pianosa est davantage un gros récif perdu sur la vague qu'une île véritable. Je suis né juste en face : quoique toute proche du littoral, certains jours de brume ou de canicule, il est tout à fait impossible de la distinguer sur l’horizon.
Joseph Heller y casera pourtant une escadrille, un état-major et une multitude de personnage tous plus déjantés les uns des autres. Déjantés ? Mais dans un tel contexte, ne s'agit-il pas avant tout d’une question de survie ? Yossarian, le principal focalisateur de cette fiction, n’a qu'un objectif dans la vie : se faire passer pour fou de manière à éviter les nombreuses missions meurtrières qu'il lui reste à accomplir avec son appareil sur l’Italie occupée. Mais son entreprise se heurte systématiquement à l'article 22 du code militaire, un article qui stipule que « quiconque veut se faire dispenser d’aller au feu n'est pas réellement fou ».
L’époque est absurde, les personnages de ce roman se conformeront donc à l'esprit du temps. Comme si l'auteur, lui-même ancien pilote durant la guerre, voulait contourner le fameux article en démontrant, au contraire, qu'il faut être fou pour participer aux missions de guerre. La guerre ? On ne la verra pas beaucoup dans ce livre : elle est toujours là, bien sûr, un décor moche où il faut bien tracer sa putain de vie. Bien installés à l'arrière-front, des généraux vivent les événements sur une grande carte en couleur, pensent à exhiber leurs décorations, à la petite guerre mesquine qu’ils se livrent entre eux pour avoir leur photo dans la presse. Quant aux hommes, leur principal souci est de trouver n'importe quel prétexte pour se faire admettre à l’hôpital. Rester là le plus longtemps possible. Guetter une impossible réforme. Traquer la peur et l’ennui en baratinant des infirmières aux genoux lisses qui s’ennuient autant qu'eux.
Heller trace ici une galerie de portraits à mi-chemin entre les caricatures de Léonard de Vinci et les Monthy Python. Yossarian pour qui l'ennemi est tous ceux qui tentent de l'envoyer à la mort, Allemands ou officiers alliés compris dans le même sac.
Orr, qui perd son avion au-dessus de la mer à chaque mission et s’entraîne en réalité aux amerrissages en catastrophe, le dernier lui permettant de rejoindre la Suède à la rame. Le Major Major, officier timide et neurasthénique, qu'un ordinateur a élevé à ce grade parce qu'il s’appelait Major de nom et de prénom, et qu’il faudra désormais appeler Major Major Major. Nataly, héritier naïf d'une grande famille et amoureux fou d’une petite putain romaine qui refuse de l’épouser. Milo Minderbinder qui conçoit la guerre comme une vaste affaire commerciale, bombarde sa propre escadrille pour honorer un pacte passé avec les Allemands, et sera absous sans malaise par ses supérieurs, au nom de la libre entreprise. Ils sont nombreux encore : chacun d'eux contient tout un monde.
Il fut un temps où je plaçais au-dessus de tous les livres jamais écrits sur la dernière guerre les « Nus et les Morts » de Norman Mailer. C'était viril et dense, et ça avait je ne sais quoi de consolateur à l'époque où on parlait encore de Guerre froide et où tu étais toujours censé faire ce foutu service militaire. Mais le message de Joseph Heller est trop essentiel et limpide pour souffrir toute comparaison : ce monde est fou, il faut être complètement fou pour y avoir l’air de conserver sa santé mentale. Et seules l'imagination, la fantaisie, l’insoumission compensent.

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Catch-22

9 étoiles

Critique de Exarkun1979 (Montréal, Inscrit le 8 septembre 2008, 45 ans) - 8 août 2011

C'est un très bon livre qui fait changement des héros parfaits et des méchants diaboliques. Ce livre est une véritable flèche lancée à l'armée américaine et écorche sur son passage plusieurs autres corps de métier comme les marchands, les psychologues et les médecins. C'est aussi le livre qui m'a fait le plus rire. C'est tellement comique et absurde de lire les dialogues entre les personnages. Pour ce qui est de Yossarian, c'est bien de voir son évolution vers la prise de conscience. C'est un livre que je recommande à tout le monde.

Puissant

10 étoiles

Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 24 octobre 2010

Un roman tout simplement puissant, rien à dire, une fresque hilarante et caustique sur la guerre, sans doute un des meilleurs romans du XXème siècle. A lire à tout prix ! Le film, en revanche, est moins glorieux...

Alors Jules, elle est où cette critique??

8 étoiles

Critique de Benoit (Rouen, Inscrit le 10 mai 2004, 43 ans) - 24 janvier 2005

Ce roman a été écrit il y a plus de 50 ans et, pourtant, les leçons qu’on peut en tirer sont toujours d’actualité.
A sa sortie, ce livre connût un succès certain et les situations qu’il présente sont tellement grotesques (et mémorables) que le terme “Catch-22” est entré dans le dictionnaire. Sa définition d’après “The American Heritage Dictionary” est : “une situation dans laquelle un dénouement souhaité est impossible à atteindre par la faute d’un ensemble de règles ou de conditions contradictoires par nature [d’après le roman Catch-22 de Joseph Heller]”. Et, en effet, ce qui symbolise ce roman, ce sont les contradictions ou les paradoxes.
L’action se situe durant la Seconde Guerre Mondiale sur une île italienne (Pianosa) située en Méditerranée. Sur cette île, les Américains ont installé une base de bombardiers qui régulièrement lâchent leurs bombes sur le Sud de la France ou le Nord de l’Italie. Le héros principal est Yossarian, bombardier en son état, qui à la frousse d’être tué en mission mais ne peut pas rentrer chez lui à cause de la fameuse clause militaire Catch-22 qui stipule que tout homme atteint de folie ne peut pas faire de mission. Pour mettre en action cette clause, il suffit de demander au docteur qu’il constate qu’il est bien fou. Or, si on est fou, on ne peut pas se rendre compte qu’on est fou! A contrario, si on se rend compte qu’on est fou, c’est qu’on n’est pas fou! Donc on peut continuer à voler des missions! Et donc par essence, cette clause ne peut jamais être activée (d’où la définition du dictionnaire)!!
Seulement, cette situation est juste le point de départ. Très vite, l’auteur va s’en écarter et nous présenter une galerie de personnages tous aussi atypiques les uns que les autres dans des situations aussi grotesques les unes que les autres. Par exemple, le cuisinier qui achète des oeufs 7 cents pièce, les revend 5 cents pièce et pourtant fait un profit! Ou cet autre personnage italien qui affirme que puisque l’Italie a perdu la guerre, elle a gagné! Et à chaque fois, bien que les situations présentées sont paradoxales, après démonstration, ces affirmations contradictoires tiennent la route!

Au début de ma lecture, j’ai été dérouté par la construction narrative de l’auteur. En effet, ce n’est pas linéaire dans le temps et il passe d’une situation à l’autre, d’un personnage à l’autre sans qu’il y ait de lien entre les deux parties. Mais à force, des liens invisibles apparaissent entre chaque partie et on retrouve rapidement nos petits surtout que plus on avance dans le roman, plus l’auteur adopte une construction linéaire.
Par contre, je salue ici l’imagination de l’auteur qui multiplie et les personnages burlesques et les situations cocasses sans pour autant se répéter! Et si vous êtes comme moi, vous serez obligés de sourire à toutes les pages et de rire franchement aux éclats toutes les 20 pages! Car c’est très drôle!

Mais derrière chaque rire et chaque sourire, l’auteur en profite pour décocher quelques flèches... La victime la plus évidente est l’Armée. Vous vous moquerez de cet officier qui passe son temps à organiser des parades, dont tout le monde se fiche, au millimètre près. Ou encore vous rirez des efforts de cet autre officier qui, pour son avancement, essaie de faire plaisir à ces deux supérieurs qui se détestent mutuellement.
Le deuxième objet de ses attaques est la guerre. Yossarian se rend rapidement compte que tout le monde veut le tuer, que ce soient les Allemands au sol qui tentent de descendre son bombardier ou ses officiers supérieurs qui l’envoient se faire tuer. Bref, pour un simple soldat sur le front, il n’y a pas de bon ni de mauvais côté car dans une guerre, l’issue est la même pour tous : c’est la mort qui les attend au bout du couloir...
Et justement, une autre des cibles préférées de l’auteur est le patriotisme. Par exemple, cela ne dérangerait pas du tout Yossarian que d’autres prennent sa place dans l’avion. Pourquoi lui risquerait sa vie alors qu’il y a tant de volontaires pour le remplacer?? Et d’autres personnages ne brillent pas non plus par leur patriotisme (voir ci-dessous).
Enfin, le gros morceau (à mon avis) de son attaque est notre société actuelle où règnent l’injustice et la violence. Car ces différentes situations paradoxales que vivent les personnages reflètent en fait les contradictions inhérentes à notre société. On parle de liberté d’expression, de démocratie et de justice universelle alors que dans les faits, on en est loin. Un enfant se fait battre dans la rue sous les regards inexpressifs des passants passifs ; le pouvoir est exercé dans nos démocraties par et pour les élites ; nos journaux sont loin d’être cette voix libre qu’ils devraient être... Et, par-dessus tout, ce que condamne l’auteur est cet argent-roi qui s’est immiscé dans nos vies pour en devenir l’unique objet. Prenez par exemple dans le livre cette veuve qui apprend que son mari est mort à la guerre. Son chagrin s’amenuise lorsqu’elle découvre les chèques de l’Armée et quand elle reçoit une lettre de son mari qui est en fait vivant et a été déclaré mort à la suite d’une erreur, elle préfère prendre les chèques et déménager... Ou encore cet autre personnage, business-man dans l’âme, qui n’hésite pas à faire bombarder son propre camp où vivent ses amis car il a loué ses services aux Allemands (quand je vous avais dit que les situations étaient grotesques...) contre rétribution sonnante et trébuchante...

Bref, lisez ce livre, il est drôle et moins innocent qu’il en a l’air !


PS : je viens de lire la critique de Mauro : elle contient tout ce qu’il faut savoir sur le bouquin! Je me demande bien pourquoi j’ai écrit une critique, moi...

Et le film ? Vous avez vu le film ?

10 étoiles

Critique de Bolcho (Bruxelles, Inscrit le 20 octobre 2001, 76 ans) - 3 novembre 2001

Superbe critique de ce bouquin effectivement. Je ne comprends pas trop le rapprochement avec Leonard de Vinci (les "caricatures"? Gros trou dans ma culture; pas la première fois que ça me frappe...) mais je trouve celui avec les Monthy Python particulièrement bien choisi: la même dérision absolue. Au cas bien improbable où tout le monde n'aurait pas encore lu la chose, j'en remets une couche pour y encourager. On y trouve par exemple: "Peut-être une longue vie doit-elle être remplie d'une foule d'épisodes pénibles pour paraître longue?" Ou bien: "Il se demandait souvent à quels signes il reconnaîtrait le premier frisson, éternuement, lapsus, rot, quinte, douleur, coup de sang, la première perte d'équilibre ou le premier trou de mémoire qui marquerait l'inévitable commencement de l'inévitable fin". Et le film ? Vous avez vu le film (1970)?

Je cours !

0 étoiles

Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 26 février 2001

Je l'achète de ce pas sur le site ! La critique m'a convaincu. Une odeur de soufre, comme dans le "Voyage", cela ne se refuse pas !

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