Mattel: Dans la vie des jouets de la compagnie de Samuel Rochery
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Politique de la contrebande
Il y aurait une diction de la fiction (pour reprendre des catégories de Genette) sans laquelle le fictif n’est qu’une mimesis. Pour Genette, la mimesis aristotélicienne peut être traduite par « fiction ». « Fiction » étant par ailleurs, pour Aristote, ce qui détermine essentiellement le caractère poétique d’une œuvre littéraire. En droit, tout roman pourrait donc être dit poétique, du fait qu’il fictionne.
Je ne sais pas si l’auteur serait d’accord avec moi pour dire que son livre, Mattel, ressortit à la poétique aristotélicienne pour une large part. Une poétique de type essentialiste ? Une poétique fermée ? Mais Mattel est à la fois « classique » en apparence et profondément dissensuel. Car la marque de jouets intervient bien comme une fiction récalcitrante impropre à « jouer au réel » dans le genre de la fiction par excellence ! Elle ne joue pas au réel. Elle est plutôt réellement fictive.
Mattel renverrait à son idéologie éculée le « souci » du réel (la fameuse « concrétude » des naturalistes qui s’ignorent), autant qu’il désidéologise la fiction, dont la fonction poétique est constamment rabrouée : Mattel est une myriade non-agglutinante de fictions, dont le moindre des vices (les vices de fabrication, comme dans les jouets, c’est tout ce qui compte !) est de ne surtout pas chercher à nourrir l’idée de l’unité thématique propre à la mimesis fictionnante. Alors ? Une solution serait de dire : il s’agit d’un des recueils les plus réussis de la dispersion, où chaque figurine représente un livre (du genre anti-livre) à elle toute seule. Des livres miniaturisés (autre nom pour « poème »).
Mattel mettrait en lumière, à mon sens, qu’il y a lieu de distinguer la fiction romanesque (qui consiste, peu s’en faut, à « jouer au réel ») de la fiction réelle (illustrée par l’enfant au milieu de ses figurines) qui « joue le jeu » de la fiction parce qu’elle est son seul espace véritable de diction, où quelque chose de l’ordre du vrai peut s’engager alors seulement. Il y a lieu de distinguer, comme il est urgent de choisir la rature pure et simple du roman contre le fantasme de sa re-vie. Si l’art du poète consiste à « feindre » des actions, des événements pour en faire une histoire, Mattel se propose à toutes les lignes d’en court-circuiter le sens aristotélicien, en insistant sur la manière de le faire, ou la manière de le dire en le faisant (au point où l’histoire passe au second plan. Pire : elle est expulsée du livre, pour ne figurer que sous la forme de quatre lignes sur la couverture : « Dans la vie des jouets de la Cie de John Mattel, il y avait des hommes et des femmes »).
La manière fait le poète, tel un muscle abstrait ou un air d’histoire, non le simple fait d’inventer une fiction qui « rejoigne la réalité » (fantasmée, pas fantasmée). Reste à savoir où l’auteur se situe exactement par rapport à cette « poétique essentialiste » que je lui attribue. Parce qu’il pourrait très bien être du côté d’un pragmatisme qui avance masqué : « n’est poétique que ce qui fonctionne comme un jouet dangereux, plus qu’une fiction » — une politique de la contrebande ?
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