Qui parle au nom du jasmin de Vénus Khoury-Ghata
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie
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Poésie fantaisiste et presque enfantine
Le titre est trompeur : on pourrait s’attendre à une poésie qui cherche donner voix à la présence muette des plantes et des animaux, à tous les êtres humbles qui vivent à nos côtés et dont la parole silencieuse, inaudible et étouffée par le brouhaha du monde, deviendrait soudain perceptible dans la bouche du poète… En fait, il s’agit ici d’une poésie assez simple, fantaisiste et presque enfantine, qui repose sur un procédé un peu répétitif de « personnalisation » en attribuant des qualités et des comportements humains, presque prosaïques, aux choses et aux éléments.
Me croiriez-vous si je vous disais / que mes volets applaudissent les jours fériés / que mes escaliers sautent à pieds joints / et que mes lucarnes font des clins d’yeux aux passants ?
Me croiriez-vous si je vous disais / que mon ombre ayant bondi plus haut que de coutume / a croqué le doigt d’une lune / et s’est essuyé le museau sur ma main ?
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Pour tout renseignement s’adresser au réverbère / avait affiché le soleil parti en voyage organisé
La Lune, elle, balaie l’espace avec ses rayons / fait reluire les cuivres des orages / et rafistole le linge usé de l’obscurité
La Lune, cette concierge dans sa loge du ciel
Inversement, dans sa volonté d’effacer les frontières entre les catégories, cette écriture poétique « chosifie » également les personnes, qui semblent souvent s’enliser dans une réalité matérielle devenue mouvante et agissante, que l’humanité ne domine plus par l’usage d’une raison capable d’abstraire et conceptualiser. Malheureusement, l'auteure utilise ce procédé de manière un peu trop systématique, ce qui finit par susciter une certaine monotonie à la lecture.
Ses doigts étant un porte-clés / il est escorté par les escaliers
Il salue bien bas les portes / effleure d’un baiser les gonds / se découvre devant l’aîné des meubles / et observe une minute de silence / à la mort de chaque heure
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Il se coinça un doigt entre deux jours / se prit le pied dans les rayons d’une lune / et déclencha sans le vouloir / la sonnerie d’un volcan
Il est temps qu’il rentre dans son corps / sa jambe gauche agit indépendamment de la droite / et quand il prend son élan pour sauter / ses pieds se noient dans ses souliers
Même drame quand on l’interroge / dès qu’il ouvre la bouche pour parler / ses lèvres lancent des galets
Ce n’est pas de sa faute s’il est maladroit / sa mère lui chantait les berceuses à l’envers / et tricotait ses murs à l’endroit
La poésie de Vénus Khoury-Ghata peut donner un sentiment de liberté car le monde qu’elle décrit, en parlant du nom du jasmin, des lucioles ou même de Dieu (dans la petite suite de poèmes intitulée « une journée de Dieu ») n’est plus soumis à l’ordonnancement du bon sens. Cette poésie, qui assume d’aller jusqu’à l’absurde, propose des images surprenantes qui font penser aux recueils écrits à destination des enfants par quelques-uns des poètes surréalistes (Robert Desnos notamment) mais elle manque de souffle et de profondeur. La lecture est divertissante mais procure un plaisir assez superficiel qui, contrairement à une poésie plus ambitieuse capable d’ébranler le lecteur en interrogeant son rapport au monde et au langage, ne laisse pas de souvenir durable sauf en quelques rares poèmes suscitant le sentiment d’un mystère indicible au cœur du monde :
Qui peut parler au nom du jasmin ? Quand le tonnerre fait éclater le tympan des vieilles herbes et que la pluie, plus basse que la plus basse des luzernes lotit la terre en d’infinis étangs ?
Quand le soleil, les doigts aux grilles se contente d’assister en spectateur ?
Les éditions
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Qui parle au nom du jasmin
de Khoury-Ghata, Vénus
Les éditeurs français réunis / Petite sirène
ISBN : SANS000055239 ; 15/04/1980 ; 96 p.
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