Quand le Sud réinvente le monde
de Bertrand Badie

critiqué par Colen8, le 13 mars 2019
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Le pouvoir de nuire localement tenant lieu de puissance géopolitique
L’ordre westphalien instauré après la guerre de Trente Ans en 1648 reconnaissait la souveraineté des Etats en Europe, le reste du monde étant à peu près ignoré. Il a plus ou moins prévalu dans les relations internationales jusqu’au tournant du siècle, sans remise en question malgré :
- les processus de décolonisation multipliant le nombre d’admissions à l’ONU, à partir de territoires aux frontières arbitraires, aboutissant le plus souvent à des échecs
- la bipolarité Est/Ouest de la guerre froide, incitant les nouveaux entrants à prendre parti, à l’origine de leur Mouvement des Non Alignés (MNA) pour faire pression tantôt sur un camp, tantôt sur l’autre
- la ligne de fracture Nord/Sud d’un développement économique se poursuivant dans la même ligne que celui de la colonisation, la technologie et la valeur ajoutée d’un côté, les matières premières de l’autre
- la mondialisation maintenant les inégalités antérieures, voire les aggravant, intervenue à partir des années 1970, ou les faisant percevoir comme telles dans les images média sans frontières
- l’impuissance des chefs des mouvements de libération parvenus au pouvoir par la lutte à gouverner durablement avec l’adhésion des populations
- et donc, la fragilité institutionnelle et territoriale des Etats nouvellement créés, source de déviance dans un premier temps, débouchant sur des conflits intra-étatiques, la violence qui ne cesse de s’étendre dans des Etats faillis ouverts à tous les trafics.
Ces nouveaux entrants ne sont pas reconnus dans l’universalisme conservateur un tantinet méprisant des anciennes puissances, pas davantage dans l’énoncé haut et fort de leurs seules valeurs pour définir la norme, non plus qu’ils ont accepté leurs velléités d’ingérence perçues comme la poursuite des dominations exécrées.
Un ordre mondial nouveau est donc souhaitable en lieu et place de l’ordre ancien fissuré de partout. La poussée des mouvements subversifs pour partie djihadistes montre à quel point la force militaire se révèle inutile comme on l’a constaté d’abord en Somalie, plus récemment en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye, au Mali, au Yémen. Loin de rétablir la paix les interventions militaires laissent le désordre se diffuser ailleurs, font le lit des chefs de guerre locaux forts de leurs milices alliés aux trafiquants mafieux en tous genres, multiplient les victimes civiles, les réfugiés, les enfants enrôlés de force. Cet ordre nouveau qui tarde à émerger devra tenir compte de souverainetés acceptant une pluralité de hiérarchies, protéger ou favoriser l’intégration sociale, accepter une redistribution plus équitable des richesses, faire comprendre la mondialisation comme opportunité et non plus comme menace.