La mer qui prend l'homme de Christian Blanchard

La mer qui prend l'homme de Christian Blanchard

Catégorie(s) : Littérature => Policiers et thrillers

Critiqué par Krysaline, le 17 mars 2019 (Paris, Inscrite le 26 septembre 2017, 59 ans)
La note : 9 étoiles
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Une vraie réussite pour cette 1ère découverte!

Raz de marée ? Lame de fond ? Ce sont les premiers mots qui me viennent spontanément à l’esprit pour exprimer mon ressenti à propos de ce thriller aux accents du grand large et contre toute attente, j’ai été littéralement « emportée » dans cet univers. Pourtant pas ma « tasse de thé » à la base, ayant une phobie des milieux marins !

Dans cette histoire on est alternativement embarqués dans l’Atlantique nord à bord du chalutier, le « Doux Frimaire » pour le présent puis « projetés » brutalement durant la guerre en Afghanistan lors de différents « flashbacks » pour le passé. C’est à la fois un contraste saisissant et la mise en lumière d’une similitude entre deux mondes a priori différents : un grand écart permanent entre l’immensité de la « mer » et la brutalité de la « guerre ».

D’entrée de jeu on a un prologue « choc » où les autorités retrouvent une femme plongée en léthargie et complètement amnésique sur un bateau plein de sang qui dérivait au large de Concarneau avec un équipage disparu. On croit imaginer d’avance que ça va mal finir pour presque tout le monde... Mais pour éviter l’effet « chronique d’une mort annoncée » on introduit l’idée d’une autre possibilité avec un canoé manquant. Où sont-ils passés. Morts, vivants, enfuis ?

Ensuite, et sans transition, on passe à l’ile de Batz au large de Roscoff, où une maison a entièrement brûlé avec son propriétaire, Walter Colley, à l’intérieur. Suicide ? c’est ce qu’essaye de déterminer l’enquêteuse, Saadia Aleph, mandatée par la compagnie d’assurances. Et cette enquête la mènera bien au-delà de ce qu’elle aurait pu imaginer…

Puis retour sur le chalutier avec trois personnages centraux. Xavier Kerlic, un SDF plutôt violent, qui éprouve régulièrement le besoin « d’en découdre » et qui a souvent maille à partir avec la police. C’est un taiseux teigneux. Puis celle de Paul Brive, un prêtre atypique qui semble « se raccrocher » à la religion en quête d’un chemin rédempteur. Et enfin, Franck Lecostumer, dont on ne sait pas grand-chose avant qu’il n’embarque à bord.

Au départ donc, rien ne relie ces quatre hommes en dehors du lieu où ils se sont croisés : l’Afghanistan. Xavier ex-sergent du génie, Paul, aumônier des armées, Franck, ex-tireur d’élite et Walter, infirmer ; Tous quatre ont l’armée française et la guerre en commun. De plus, on soupçonne immédiatement, à la lecture de certains évènements, qu’il existe des non-dits qui masquent quelque chose de plus profond.

Pour cet étrange équipage, composé de marins aguerris aux rudes conditions de la pêche en haute mer et de ces trois anciens militaires souffrant de Stress Post-Traumatique à la suite des combats, le tout accompagné d’un agent des services sociaux du Ministère de la Défense, le lieutenant Emily Garcia, ce sera loin d’être une croisière tranquille. L’enquêteuse des assurances rejoindra la croisière par la suite… mais ne s’amusera pas !

Mais, le « SPT » c’est quoi au juste ? C’est une pathologie de la mémoire. Lors d’un stress intense, tout le corps se met en tension, mobilise de l’énergie et engendre une souffrance du système nerveux qui altère la mémoire. Le cerveau submergé de sensations au moment du stress, va créer des réflexes conditionnés (comme des réactions au bruit, à l’odeur ou à la lumière), un « arrêt sur images » qui sera mémorisé et qui reviendra parasiter l’esprit avec le déclenchement de « flashbacks ». Ces réminiscences intempestives ont fatalement des répercussions sociales et engendrent des difficultés de réinsertion dans la vie civile pour les soldats de retour chez eux.

L’ingénieux Ministère en charge de leurs suivis a donc imaginé un remède en organisant un « stage » dans des conditions « extrêmes » qui crée ainsi un choc suffisamment déstabilisant pour court-circuiter le processus des flashs et qui théoriquement neutralisera le traumatisme. Huis-clos sous haute-tension sur ce chalutier avec des personnalités psychologiquement perturbées et instables. Ce qui engendre une situation « explosive ».

L’idée est que le cumul combiné des intempéries, des frimas, du manque de sommeil, de l’anxiété, du mal de mer, cette lutte contre l’hostilité des « éléments » naturels sera plus fort que leur SPT. La mer, avec laquelle « on ne discute pas », devant laquelle on s’incline et on s’adapte car elle est sans pitié et sans concession et où la moindre erreur ne « pardonne pas » aura raison de leurs obsessions.
Car, ces hommes qui ont connu la folie meurtrière de la guerre avec la perte absolue de repères, où les limites du bien et du mal sont devenues floues, où la morale de base elle-même est devenue mouvante et où toutes les transgressions semblent permises vont finir par croire à l’impunité totale.

Les conditions à bord que l’auteur nous décrit si bien sont impitoyables, sans merci et implacables tout comme le sont les personnages. Dans ce récit, il est question de prise de conscience transcendantale de soi, de compréhension d’une réalité différente de celle qui est perçue (Ce qu’ils croient être la réalité pour eux, a basculé dans la violence et l’anarchie pour certains et la vengeance pour d’autres). La notion de justice (divine ? humaine ?) est aussi esquissée.

J’ai relevé que la plume nerveuse, glaçante même (autant que l’est la mer du Nord) était redoutablement efficace. Sèche, brève, incisive et tranchante, elle fait ressortir à merveille le parallélisme que constitue la brutalité sauvage de la mer et celle de la guerre. Le style assez brusque, les successions de phrases courtes et percutantes transcrivent bien les esprits fracturés des « héros ». Cette écriture « heurtée » donne une impression de débit saccadé ou de torrent et confère un rythme particulier à l’histoire.

Alors c’est vrai que la mise en route est un peu lente avec la « pose » du récit avec force détails pour les lieux et les personnages, mais ça permet de mieux les « visualiser » selon moi. On rejoint ensuite un rythme plus soutenu pour rencontrer de vraies scènes d’actions vers la fin : une recette correctement dosée à mon goût. J’ai juste trouvé le final un peu « capillotracté » …

Un grand merci @NetGalley et aux Editions Belfond pour cette belle découverte. Je m’en vais acquérir « IBOGA » de ce pas !

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