Les grands chemins
de Jean Giono

critiqué par B.Josef, le 18 juin 2004
( - 38 ans)


La note:  étoiles
Le soleil n'est jamais si beau qu'un jour où l'on se met en route.
Voici un livre de chemins. Un livre simple à la première personne, une tranche de vie faite de marches, de petits boulots et de rencontres.
Un livre à l'expression brutale et oralisante qui résiste à l’interprétation et ne cède jamais à l'intimisme larmoyant d'une narration à la première personne; un livre qui se fait peu communicatif et ne soulève que rarement les montées d'euphorie d'une lecture unanime.
Et pourtant, c'est bien ces grands livres en forme de point d'interrogation qu'il faut apprendre à aimer. Jamais le point ne se fait explicite et il aurait grand mal tant le sens réduit pourrait se résumer à quelques mots : une marche partagée, une amitié rude, des scènes de silences, une oeuvre errante comme la vie, comme une évidence; c'est l’extrême simplicité d'une oralisation directe, la parole contenue, l'appareil poétique d'une humilité surprenante.
Le héros avenant mène la vie sans lendemains, parcourt les étendues en quête d'une chambre, d'un travail et d'un peu de tabac. Il croise le chemin de "l'artiste", compagnon de route et joueur de cartes.
Se tisse une amitié équivoque, sans concessions et qui vaut pour les deux dernières pages éclatantes et grotesques.
Un grand roman comme la vie, un roman grandiose de banalité plein de tous ces "zèbres" insaisissables qui partagent nos route quotidiennes.

"C'est beau l'amitié!"
Vagabondages 9 étoiles

Tout d'abord, quel style ! C'est à la fois enlevé et direct, la langue populaire est belle, les locutions colorées. Giono, au sommet de son art, parvient à une évidence et une simplicité qui dissimulent le travail de l'écrivain. Avec cela comme toujours chez Giono, la nature est omniprésente et les personnages vivent et respirent selon son pouls.

Le récit, un voyage d'automne et d'hiver dans ce qu'on imagine être les contreforts des Alpes, suit le cours des rencontres et des envies du chaleureux héros. Il est cependant prenant. Une vie de journalier, vie de joies simples et de misères, mais que n'abandonnerait pour rien au monde notre vagabond. Elle lui permet d'être là où il veut quand il le veut. Bref, une vie avant le « meilleur des mondes », avant la sécurité sociale, la caisse d'assurance maladie, une vie pour les loups de la fable de La Fontaine, pas pour les chiens nourris mais attachés.

Comment un personnage franc du collier peut-il se lier (d'amitié?!) avec un aussi sale type qu'est l'Artiste, c'est l'aspect le plus intrigant de ce roman. Bien sûr; c'est un autre vagabond, un autre loup parmi les chiens et Giono, désabusé par les années de guerre et l'épuration, aura-t-il sans doute voulu élargir sa palette avec la figure de cet anti-héros. Mais cela sans la commisération, sans le misérabilisme à deux balles dont sont garnis nos romans contemporains. La fin du récit le montre sans fard : l'empathie, l'amitié virile n'excluent pas le châtiment.

Pour les insoumis qui aiment l'air frais de l'hiver.

« Je suis cependant toujours sur la route. Une route sait généralement ce qu'elle fait ; il n'y a qu'à la suivre. »

Kostog - - 52 ans - 30 novembre 2018


Sur la route... 8 étoiles

Jean Giono nous présente ici un vagabond anonyme, à la recherche de son idéal. Il rencontrera l'Artiste, en fait un joueur de cartes , à qui il vouera une admiration sans limite. Naîtra une amitié virile au long de cette route qui les mènera vers leur destin.
Mais comme il arrive parfois dans ce genre d'amitié, un conflit finira par ternir les relations des deux hommes. S'en suivra une véritable chasse à l'homme où le narrateur poursuit son compagnon d'infortune, joueur et menteur invétéré… Pour lui régler son compte ? peut-être… mais il lui faudra faire vite s'il veut le rejoindre avant la meute des villageois en colère également à ses trousses.
« Les grands chemins », un roman qu'il est convenu de situer dans la deuxième époque de l'auteur, celle de l'après guerre. On le sent désabusé… et sa prose se fait moins lumineuse, moins olfactive. Il reste malgré tout les thèmes chers à Giono : les petits boulots, l'amitié virile et Les grands chemins qui ne mènent nulle part si ce n'est à soi-même…

Lecassin - Saint Médard en Jalles - 68 ans - 3 février 2013


Pas passionnant 6 étoiles

Ce type qui se balade sur les routes de France en vivant de petits boulots est assez sympa. Sa philosophie de vie me plait : il se contente de peu ; la nature, un peu de tabac, s'asseoir dans la cuisine au coin du fourneau en faisant de l'oeil à la cuisinière. Mais son récit ne m’a guère passionné : c’est long et ennuyeux, écrit à la première personne dans un style dépouillé qui n’améliore pas le reste. Son amitié improbable avec un autre gars rencontré sur la route ne rend pas le livre plus attrayant.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 18 janvier 2006


roman de voyage 7 étoiles

On m'a offert ce livre alors que je me suis mis à parcourir les routes de France en visitant les villages. Ce livre parle de la vie de campagne, de la route, se lit vite. Ce qui caractérise tous les romans de Giono(même si je les ai pas tous lus j'en ai pas mal) c'est que c'est bien pensé, intelligemment écrit et d'une narration exemplaire. Malgré ces qualités les thèmes m'ont peu touché ...faudra que je relise pour mieux apprécier.
Quand même pas du niveau D'un roi sans divertissement; de Regain, ou Serpent d'étoiles.

Magicite - Sud-Est - 46 ans - 4 janvier 2006


La belle vie! 6 étoiles

Roman fluide sans aucun chapitre, écrit à la première personne, le texte remue de nombreux thèmes dont celui de l'amitié inutile, de l'aventure et de celui du jeu. Mais aussi le mépris de ceux qui vivent différemment du commun des individus le texte nous informe peu sur les lieux de l'action ni même sur l'époque. Toutefois on peut penser que l'action se déroule dans le Dauphiné des années 1960. Le registre volontairement familier du narrateur donne une impression d'un mode de vie certes subit mais dégageant un certain plaisir parfois amer.
Les mésaventures se succèdent dans un enchaînement cohérent, on se laisse facilement prendre à la lecture et malgré les 235 pages du roman celui-ci est vite lu.

Saufiane - - 47 ans - 28 octobre 2004


Giono et mes deux critiques précédentes. 8 étoiles

Je suis d'accord avec les intervenants précédents sur la pertinence de la critique des "grands chemins" de Giono. Encore que ce livre "sur l'amitié", ou une forme de l'amitié, pose problème. Manifestement le narrateur fait de solides concessions à "l'artiste", il ne peut compter sur lui, mais il doit assistance à "l'artiste" dans tous les mauvais pas où ce dernier se met comme par plaisir, par pur égoïsme, et avec un cynisme foncier. C'est un escroc, et même pire, dont on cerne mal les motifs dans les épisodes qui terminent le roman. Après tout, direz-vous, qu'avons nous affaire de la moralité des gens quand elle n'implique pas autrui ? certes ! mais en l’occurrence, n'oublions pas la victime, vulnérable par son âge. Je ne peux en dire plus. Les silences de l'auteur Giono, du narrateur, et de l'acteur (l'artiste) n'ont pas valeur d'absolution !
On ne peut raconter l'histoire, dont plusieurs épisodes restent obscurs, mais la rapprocher d'un autre couple, celui de Lennie et George dans "des souris et des hommes", couple moins complexe assurément, plus compréhensible aussi.
En ce qui concerne le pacifisme de Giono, nul doute que son expérience de la guerre de 14 fut une épreuve traumatisante, pour lui comme pour les autres. Mais sans rouvrir le débat sur la "collaboration" de Giono écrivant dans la revue "la gerbe", ce qui lui valut comme on sait des ennuis à la libération, on se rapportera aux volumes de la pléiade qui cite les propos mêmes de Giono. Il fut adepte d'un "pacifisme" qui acceptait tout pouvoir en place, il le dit en parlant d’Hitler et du pape, je n'ai pas la citation sous la main, mais elle est dans la pléiade. C'est ce qu'on appelle avec Kant être partisan de la "paix des cimetières". Cette considération mérite d'être rappelée, même si elle n'intervient pas sur la qualité à proprement parler de ses écrits. Encore que "Regain", en parallèle avec le fameux retour à la terre soit, même en mettant l’idéologie à part, un peu faible, non ? je ne suis donc pas un inconditionnel de Giono et des personnages rudimentaires des "deux cavaliers de l' orage".
Toujours est-il que si on voit les choses du bon côté (rire) la postérité de Giono se retrouverait dans"les âmes grises" où le procédé du narrateur silencieux est repris de "un de baumugnes", avec plus de maitrise à mon sens car les personnages y sont moins frustes. Une citation de Giono est aussi en exergue du second roman de Philippe Claudel, Quelques-uns des cent regrets, paru aux Editions Balland.

Rotko - Avrillé - 50 ans - 18 juin 2004


Très belle critique ! 8 étoiles

Bravo à B.Joseph pour cette excellente critique d'un excellent livre.

Sur un des Forums, Bérénice marque son étonnement, et à juste titre, du léger oubli dont Gide fait l'objet. Il fait partie des grands écrivains du XXieme au style quasiment parfait, comme Montherlant et Yourcenar.

Mais Giono aussi subit ce sort, en tout cas sur ce site, à quelques exceptions près ! Il a eu la chance que "Le hussard sur le toit" a été porté à l'écran (avec comme d'habitude un livre qui est meilleur) mais pour le reste, dans l'ensemble, il reste pour beaucoup un auteur qui chante la Provence. Mais Giono, c'est beaucoup plus que cela !... Lisez "Le grand troupeau" et vous resterez béats !... Une pareille description de l'horreur qu'a été "la grande guerre", je n'en ai jamais lue !... Et dans un style plus que fabuleux !... D'accord, il y a Louis-Ferdinand et son style sans pareil, mais Giono atteint aussi les sommets dans ce livre.

Et puis, il y en a encore d'autres... Je suis donc très heureux de lire cette belle critique pour un aussi bon écrivain !

Jules - Bruxelles - 80 ans - 18 juin 2004