Conversations avec Antonio Lobo-Antunes
de António Lobo Antunes, María Luisa Blanco

critiqué par Jules, le 21 juin 2004
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Un homme assez particulier !
Antonio Lobo Antunes n’est pas qu’un des meilleurs écrivains portugais, et européens de son temps, il est également un personnage très particulier ! C’est en tout cas ce qui ressort des entretiens qu’il a accordés à Maria Luisa Blanco.

Tout d’abord, Lobo Antunes est un taciturne et ces entretiens ont donc un côté exceptionnel. Voilà un homme qui n’aime ni fréquenter le monde, ni les écrivains et ne se rend jamais à des réunions pour vendre ses livres. Il reproche d’ailleurs au public de croire qu’un écrivain ne dit nécessairement que des choses intelligentes. A ses yeux, un écrivain n’est pas un intellectuel et, s’il l’était, il ne serait plus un artiste.

Sa vie est assez particulière. Tout enfant il écrivait déjà beaucoup, lisait tout le temps et n’importe quoi. A sept ans il décide qu’il sera écrivain alors que son père envisage qu’il sera médecin. Il est l’aîné de plusieurs enfants et ses frères sont respectivement médecin, ambassadeur, directeur de musée. Alors qu’il s’attendait à ce que son père respecte son désir et l’inscrive, à seize ans, en philosophie et lettres, celui-ci l’inscrira en faculté de médecine. Il deviendra donc médecin et choisira comme spécialité la psychiatrie parce qu’il estimait que cela lui laisserait du temps pour écrire.

A l’université on lui découvre un coefficient intellectuel de 180 soit équivalent à celui d’Einstein ! Il admet d’ailleurs comprendre les choses beaucoup plus vite que les autres bien que ne comprenant pas toujours comment. Il ne suit jamais les raisonnements logiques, tout simplement la solution lui apparaît comme évidente. C’est pour cela qu’il se nomme lui-même « un idiot fulgurant »…

A ses yeux, le style et les mots sont bien plus importants pour un livre que l’histoire. Il est de l’avis de Céline, l’histoire et les idées viennent du style et des mots et non de l’auteur lui-même. Ses livres sont le résultat de très longues journées de travail, d’un minimum de deux brouillons et d’une correction finale. A chaque correction il s’attache, comme Hemingway, à enlever les mots inutiles. Il dit que les dialogues d’Hemingway paraissent tellement vrais parce que nous sommes convaincus qu’ils sont écrits dans un langage simple et direct qui est le langage parlé. Or, à ses yeux, personne ne parle comme cela et ces dialogues tiennent aussi bien tant ils résultent d’un très long travail.

Antonio Lobo Antunes nous déclare écrire partout, sur n’importe quel bout de papier et un minimum de onze à douze heures par jours. Quand il a un roman en cours, il ne supporte pas de ne pas pouvoir écrire à ce rythme tous les jours. Il ne fait que cela, mais a-t-il fait beaucoup d’autres choses dans sa vie ?… Il n’a que trois ou quatre amis, vit seul et se prétend d’ailleurs asocial. Il prétend ne jamais s’ennuyer et s’amuser beaucoup avec lui-même. Il a fait la guerre en Angola et dit que ce n’est que là qu’il a, pour la première fois, découvert les autres.
Dans tous ses livres se retrouve une très grande partie autobiographique et il maintient qu’il en serait très difficilement autrement.

Vraiment un personnage bien particulier quand il nous explique qu’il a divorcé de sa première femme, superbe, intelligente, cultivée et convaincue de son talent, rien que parce que c’était au lendemain de la révolution des œillets, qu’un vent de liberté flottait partout, y compris sexuelle. Il l’a toujours regretté et quand celle-ci a fait un cancer, bien des années plus tard, il est retourné vivre chez elle toute la durée de sa maladie. Il nous dit y avoir passé les meilleurs mois de sa vie et il a gardé cet appartement, habité par ses deux filles, et c’est là qu’il va écrire tous les jours.

Je ne peux pas, ici, vous transmettre tout ce qu’il raconte, mais ce livre est très intéressant à beaucoup de points de vue. Par contre, et il faut l’admettre, il a également le défaut de n’être que la transcription de conversations et il en découle de très nombreuses répétitions.

Intéressant tout de même tant il nous rend le personnage bien plus proche.
Rencontre avec un écrivain 9 étoiles

A la fin de ce livre d'entretiens, Maria Luisa Blanco retranscrit un entretien avec les parents de l'écrivain.. Le père, qui ne lit plus les romans de son fils :

Je n'en ai pas la patience, dit-il. Anatole France disait de Proust que la vie est courte et Proust beaucoup trop long." Il rit, puis ajoute : "La vie est beaucoup trop courte pour lire Antonio."

Des parents qui n'ont rien de tendre ( il dit que sa mère ne l'a jamais embrassé...)et chez lesquels l'excellence était de règle.
Les parents ne comprennent pas la tristesse d'Antonio Lobo Antunes, qui, pour eux, a eu une enfance heureuse... Ce n'est pas ce que j'ai cru en comprendre, à le lire!

Et puis, il y a eu la guerre en Angola, qui l'a profondément marqué, et dont il dit ne pas pouvoir encore maintenant vraiment parler.
Et puis, récemment, la mort de son ex-femme dont il ne s'est jamais vraiment séparé...

Il parle dans ce livre de ses goûts littéraires, de sa passion pour la poésie, de ses difficultés d'écriture... et de sa vie quotidienne, le matin écrivant à l'hôpital où , psychiatre, il voit encore quelques anciens malades, l'après midi écrivant chez ses filles..
Et de sa sensation un peu ambivalente d'avoir d'une part la conscience d'écrire d'une façon différente de tous, et d'autre part , devant le succès qu'il rencontre, et les honneurs qu'il reçoit, de se sentir un usurpateur.

Pour moi qui aime entendre les gens- quels qu'ils soient- parler d'eux- ce livre ( peut-être un peu répétitif de temps en temps, mais c'est dû à la retranscription exacte des propos d'Antonio Lobo Antunes), ce livre a été un bonheur! J'y ai découvert un personnage complexe, sincère, hésitant, culpabilisant. Solitaire ( tous ses amis sont morts..) et ne vivant que dans les livres.

Paofaia - Moorea - - ans - 30 octobre 2013


Ecriture, écriture, écriture. 10 étoiles

Il serait en effet dommage aux amoureux de la littérature de passer à côté de ces Entretiens avec un des rares écrivains vivants auteur d’une œuvre dont la cohérence me semble indiscutable et qui doit avoir à l’esprit cette phrase de Nietzsche : « L’art, rien que l’art, pour ne point mourir de la vérité ».
Quant à la promotion de ses livres, voici un exemple de ce que signale Jules :
Mail des éditions Bourgois :
Antonio Lobo Antunes sera à l`Odéon-Théâtre de l`Europe (8 bd Berthier - 75 017 Paris) le samedi 3 avril à partir de 15h pour une rencontre-lecture animée par Fabrice Gabriel (Les Inrockuptibles). Les textes de l`auteur seront lus par Marcel Bozonnet.

Ma réponse
Bonjour,
Ayant lu les "entretiens", je comprends Antonio Lobo Antunes quand il parle de la lourdeur de ces rendez-vous après publication! Et suis de tout coeur avec lui en espérant que cette corvée, vraisemblablement imposée, lui paraisse de courte durée afin qu'il continue son oeuvre, une des plus innovante depuis bien, bien, longtemps, trop longtemps.

Et … la venue d’Antonio Lobo Antunes fut annulée.

Ocenebres - Liège - 67 ans - 23 juin 2004