Marcher jusqu'au soir de Lydie Salvayre

Marcher jusqu'au soir de Lydie Salvayre

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Veneziano, le 2 mai 2019 (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 301ème position).
Visites : 3 368 

Une nuit au musée

L'auteure est invitée à passer une nuit au musée, ce qui l'invite à réfléchir à la place de l'art dans la vie des gens en général et de la sienne en particulier. Elle émet une digression émouvante sur ses difficultés à s'exprimer à la télévision à ses débuts et son agacement face au tout-médiatique qui a envahi la littérature, sujet qui ne peut que nous intéresser sur ce site.
Elle traite le sujet principal, alors qu'elle s'installe face à l'Homme qui marche de Giacometti. Elle s'interroge sur le substitution de l'art à la religion, le caractère supérieur de celles et ceux qui y ont accès et qui en détiennent une connaissance importante, d'un certain élitisme, certes ; mais il n'y a pas que cela : la beauté est faite pour émouvoir et l'art pour communiquer et reste donc essentiel. "L'art ne valait rien sans doute mais rien ne valait l'art", conclue-t-elle, pour terminer une démonstration en faveur de l'importance de l'art, malgré les nuances de la pratique. Par conséquent, il faut savoir s'y confronter et trouver la forme qui plaît à chacune et chacun. J'ai trouvé cet essai-roman aussi émouvant qu'utile, aussi fin que beau dans cette analyse. Je le recommande vivement.

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Picasso ou Giacometti

10 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 27 août 2020

Lydie Salvayre, après bien des hésitations, accepte la proposition d’aller passer une nuit seule dans le Musée Picasso où se tient une exposition Giacometti. Elle choisit d’installer son lit de camp devant la statue de L’homme qui marche, sculpture qu’elle a toujours trouvée magnifique.
Mais surprise, elle n’éprouve rien, s’ennuie, désemparée par cette absence d’émotion.

Alors elle se met en colère contre l’art, il faut bien un responsable. Une diatribe déchaînée (dont son compagnon fera les frais) contre la marchandisation de l’art réservé à une élite culturelle , une façon de la maintenir dans son  "très confortable entre-soi et de très subtilement en exclure les autres".
Suivra une envolée farouche sur l’enfermement des œuvres d’art, les musées- lieux de mort, elle qui les voudrait dans des lieux de vie, gares, hôpitaux, cafés , mais aussi montagnes, forêts pourvu que ce soit à l’air libre …

"L’art, je m’en torche le cul"
D’où viennent cette colère, cette rage, elle qui apprécie l’art, qui connaît particulièrement bien la biographie de Giacometti…

De cette dualité qui fait de Lydie Salvayre une femme hors du commun. Depuis son enfance menacée auprès d’un père malade et violent, cette petite fille d’émigrés espagnols modestes devenue adulte, souffre toujours d’un complexe devant cette langue qu’elle maîtrise si parfaitement à l’écrit mais pas à l’oral, souffre toujours de ces paroles blessantes entendues lors d’un dîner "elle a l’air bien modeste"
"Les souvenirs de honte avaient chez moi une fatale aptitude à la ténacité."

Et il lui faudra plusieurs mois de réflexion pour enfin comprendre cette apparente insensibilité face à une œuvre qui la fascinait en photo. Et découvrir le sens de cet "Homme qui marche".
Une conclusion, liée à son parcours, à son présent douloureux, mais une conclusion vers la vie. Comme quoi, visiter des musées…

Si le récit de la vie de Giacometti est intéressant, ce qui m’a totalement séduite est l’écriture de l’autrice, ses changements de registres, de rythmes incroyables, capable de grandes envolées lyriques, montrant sa culture devant les œuvres, les biographies des artistes mais aussi de raconter le plus trivial, enfermée dans les toilettes.
Un mélange savoureux et jubilatoire doublé d’une introspection très émouvante.
Formidable roman, formidable écrivaine.

Face à face fécond ou rendez-vous manqué ?

10 étoiles

Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 13 janvier 2020

Lydie Salvayre aime les oeuvres d'art, « meilleur moyen de comprendre, embraser, embrasser la vie »  mais déteste les musées et les grandes expositions : trop de foule, de bousculade « trop de beautés concentrées au même endroit, trop de génies...trop de splendeurs , trop de richesses ….trop d'oeuvres entassées ... une overdose de sublime à te flanquer la nausée »

Lorsqu'elle se voit proposer, à l'occasion de l'expo Picasso-Giacometti au musée Picasso de passer une nuit, seule face aux oeuvres de Giacometti, sculpteur qu'elle admire particulièrement , elle hésite d'abord, puis accepte.
Face à face fécond ou rendez-vous manqué ? Je vous laisse le soin de le découvrir dans cet ouvrage plein de fièvre . Elle nous y livre une fine et profonde description de L'HOMME QUI MARCHE, et nous fait mieux connaître la vie de Giacometti, mû par une insatisfaction permanente.
Occasion pour nous aussi de connaître d'autres artistes qui alimentent « la maison intérieure » de Lydie Salvayre : des écrivains , notamment Rabelais ,Pascal, Virginia Woolf, Faulkner, et Baudelaire auquel elle emprunte la déclaration sulfureuse qui lui sert de phrase d'exergue « L'Art : une prostitution » ainsi que le titre de l'ouvrage : MARCHER JUSQU'AU SOIR extrait du poème LA MORT DES PAUVRES .

L'ouvrage présente également un portrait de l'auteure en femme en colère qui se dresse contre le marché de l'art contemporain avec « ses dignitaires, ses promoteurs, ses médiateurs créatifs, ses exégètes , ses artistes appointés ». Cet art ne serait -il qu'imposture ? Elle n'est pas tendre avec ses représentants et certaines de leurs les installations .
C'est aussi un portrait de l'auteur en femme blessée dès son enfance près d'un père cruel et dictateur, de femme humiliée par des phrases qui ont été pour elle une « écharde implantée dans la chair de son orgueil » qui ont déclenché en elle l'envie d'écrire, et lui ont ainsi offert une sorte de salut.
C'est enfin le portrait d'une femme touchée par la maladie, particulièrement sensible à « cette figure éprouvée, abîmée, tragique, amenée à se pencher sur la terreur du gouffre » que présente L'HOMME QUI MARCHE

Elle termine son récit d'une nuit passée au musée par l'évocation de portraits peints par Picasso . Elle y perçoit « une vitalité rayonnante » en totale opposition avec les productions de Giacometti et conclut par une phrase plus consensuelle mais qui m' a semblé un peu fade après toutes ses déclarations antérieures empreintes de passion , déclarant que « l'art ne valait rien sans doute , mais rien ne valait l'art »

MARCHER JUSQU'AU SOIR : un texte qui interroge sur la condition humaine, un texte-cri, explosif, corrosif aussi, à l'écriture torrentielle. Ses longues phrases rythmées par des anaphores, ponctuées d'hyperboles et d'effets d'accumulation m'ont irrésistiblement emportée par leur force et leur énergie .

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