Les échos du silence de Sylvie Germain

Les échos du silence de Sylvie Germain

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sahkti, le 21 juin 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 295ème position).
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Enquête sur l'absence de Dieu

"Aussi attentivement que l'on scrute ces traces noircies de sang, de larmes, on n'y décèle ni regard ni voix de Dieu, nul reflet de sa face qui se serait inclinée vers les hommes en détresse, leurs enfants suppliciés pour répondre à leurs cris, leurs appels, à leur attente illimitée et demeurée vacante.
Devant un tel silence, on est tenté de conclure au scandale, à l'outrage, car tous ces pas de fauve qui apposent sur la terre avec une folle prodigalité leurs sceaux de mort et d'infamie semblent autant de preuves de l'absence de Dieu ou, pire de son indifférence."

Texte impressionnant sur l'absence de Dieu. En une centaine de pages, Sylvie Germain fait un tour de la question qui laisse sans voix. L'idée de départ est simple et bien énoncée : au vu de tous les malheurs qui accablent l'Homme et la Terre, Dieu ne peux pas exister, c'est impossible... ou alors c'est un monstre. Se basant sur le livre de Job, Sylvie Germain aborde de manière délicate mais ferme l'absence de Dieu, ses silences devant nos interrogations, son invisibilité alors que nous l'appelons au secours et que la Terre agonise. Dieu n'est pas là, il n'apparaît jamais, il se fiche de sa création.
La démonstration laisse pantois, je n'ai pu qu'acquiescer, de tels propos correspondant d'autant plus à ma vision de la divinité suprême. Cela aurait cependant été trop simple de conclure de la sorte, S. Germain va beaucoup plus loin. A l'aide d'autres textes et de convictions propres, elle narre le dessein réel de Dieu : s'effacer au profit de l'Homme, lui faire don du monde avant de se retirer, témoignage ultime de la grande confiance qu'il accorde à l'être humain. L'Homme qui, très vite, préféra le rutilant et l'éphémère et construira tout seul comme un grand sa propre perte.
Très beau passage extrait du Roi Lear : "Voilà bien la folie suprême de l'univers : quand notre heur s'avère mauvais, et souvent par le triste effet de notre propre conduite, nous rendons coupables de nos désastres le soleil, la lune, les étoiles, comme si nous étions coquins par fatalité, bêtes par contrainte céleste, chenapans, voleurs et perfides de par un signe qui nous gouverne, ivrognes, menteurs et adultères par docilité obligée à l'ascendant de quelque planète et, en un mot, jamais portés au mal que si un dieu nous y mène. Quel admirable alibi, pour ce maître ruffian qu'est l'homme, d'aller mettre son tempérament de bouc à la charge d'une étoile." (page 67).
L'Homme s'aime avant d'aimer Dieu ou celui qui lui a donné vie, peu importe le nom qu'on lui accorde.
Mais après tout, n'est-ce pas là volonté de Dieu ? Dieu que l'auteur compare à la tragédie du Roi Lear, le parcours de ce roi auto-déchu exigeant qu'on l'aime ressemblant par certains aspects à celui qu'on nomme le Créateur.
Si l'existence de Dieu est, en conclusion, affirmée, elle est remise à sa juste dimension, celle de l'humain, celle de l'esprit de l'homme.
Une belle leçon!

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Ecouter le silence de Dieu

9 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 13 juillet 2004

"Il y eu un grand ouragan [...] mais Yahvé n'était pas dans l'ouragan; et après l'ouragan un tremblement de terre, mais Yahvé n'était pas dans le tremblement de terre; et après le tremblement de terre un feu, mais Yahvé n'était pas dans le feu; et après le feu, la voix d'un silence subtil." (1R 19,12).

Le point de départ de la méditation de Sylvie Germain est celui de l'absence de Dieu, du "scandale" de son silence face aux atrocités (génocides et autres) dont notre époque a été si malheureusement pourvue. Le cri de souffrance de Job, injustement mis à l'épreuve et qui crie sa révolte face au silence de Celui auquel il reste fidèle envers et contre tout, s'élève à notre époque avec toujours autant d'acuité. Comme Jung dans son "Réponse à Job", Sylvie Germain estime que la réponse de Dieu à la fin du livre de Job n'en est pas une et qu'on ne peut pas en rester là.

Alors que faire de ce silence ? Le non-croyant y verra une preuve de la non-existence de Dieu et pour lui ça s'arrête là. Mais le croyant ne peut pas faire l'économie de la question. Car me semble-t-il si on crois, c'est parce qu'on en a besoin ou qu'on a ressenti (ou pressenti) l'amour de Dieu dans notre vie. Dès lors rejeter l'existence de Dieu n'est plus une option.

Des réponses Sylvie Germain n'en donne pas, bien quelques pistes que chacun pourra méditer. Un retournement de la perspective d'abord : les Impropères (qui sont des chants qui accompagnent traditionnellement la vénération de la croix le vendredi saint) dans laquelle la plainte de Dieu à l'égard de son peuple qu'il a libéré et qui fait un si mauvais usage de cette liberté s'élève. La réponse classique ensuite de la liberté: Dieu nous a voulu libre, ce qui implique libre de faire le bien mais aussi libre de faire le mal. Dans "Les frères Karamazov" Dostoïevski illustre la liberté divine par l'épisode de la tentation de Jésus dans le désert. Sylvie Germain utilise des paraboles de Marc et Luc, nous donnant l'image d'un Seigneur qui quitte sa demeure pour laisser la place à ses serviteurs. Et aussi la pièce de Shakespeare, "le Roi Lear".

Mais ce n'est pas tout, la méditation de Sylvie Germain nous entraîne sur un terrain encore plus fertile. L'auteur nous invite à nous mettre à l'écoute de "cette voix d'un silence subtil" par laquelle Dieu se manifeste à Elie dans la citation reprise au début de ma critique. Ecouter ce silence, ou plutôt des échos de ce silence dans le coeur de celui qui le cherche. L'auteur nous invite à nous mettre à la recherche de l'absence de Dieu. Paradoxal certes, mais c'est bien la voie suivie par la petite Thérèse et par les mystiques qui ont fait l'expérience de la nuit obscure. Outre Sainte Thérèse de Lisieux, Sylvie Germain s'accompagne aussi dans cet essai de Etty Hillesum, Simon Weil, Paul Célan (un poète que Fée Carabine mentionnait dans un forum) et du Roi Lear de Shakespeare, pour nous livrer une méditation superbe sur le silence de Dieu et la folie magnifique de ceux qui envers et contre reste à l'écoute de ce silence. Sans certitude, jamais, car le croyant doit toujours être capable de mettre tout en doute, jusqu'à l'existence de Dieu. Sinon cela devient de l'intégrisme.

En fermant le livre, je me dis que finalement être croyant c'est peut-être "chercher l'absence de Dieu" et que prier c'est se mettre à l'écoute du silence de Dieu. Car quand Dieu parle c'est "le son d'un silence subtil" (ce qui me fait penser au "Je serai qui je serai" que Dieu répond à Moise). Ecouter le silence de Dieu : c'est ce que je fait d'ailleurs quand je vais dans une église. Je me souviens d'avoir passé une après-midi entière dans l'incroyable basilique Sainte Marie-Madelaine à Vézelay : on déambule dans la nef romane, le regard y cherche une présence dans les voutes et les jeux de lumière. On s'assied pour écouter le silence (en hiver il n'y a personne dans la basilique). On se plante devant l'extraordinaire coeur gothique, transpercé par la lumière qui s'en émane.

Et pour terminer, je vous donne une citation qui ne manque pas de m'intriguer et de m'interpeller et qui s'éclaire un peu plus grâce à Sylvie Germain. C'est Angelius Silesius qui disait "Dieu est un Rien pur, nul maintenant, nul ici ne le touche ; plus tu cherches à le saisir et plus il t'échappe".

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  A découvrir 5 Saule 23 juin 2004 @ 19:20

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