Monné, outrages et défis de Ahmadou Kourouma

Monné, outrages et défis de Ahmadou Kourouma

Catégorie(s) : Littérature => Africaine

Critiqué par Janotusdebragmardo, le 22 juin 2004 (Inscrit le 5 avril 2004, 68 ans)
La note : 8 étoiles
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La colonisation vue par un africain

A la fin du 19ème siècle, les troupes françaises envahissent le pays mandingue. Le roi de Soba, Djigui Keïta, trop confiant dans des murailles érigées à la hâte et dans ses sortilèges, fut bien sûr vaincu sans même combattre. Sauvant les apparences (s’il doit faire allégeance devant le gouverneur, il garde son titre de roi, et sert de courroie de transmission entre le peuple et le gouverneur français) et favorable à l’arrivée du progrès, Djigui collaborera. Peu à peu se mettent en place les instruments de la « civilisation » : l’argent, l’impôt, les comptoirs, les prestations (en fait, les travaux forcés), le laissez-passer , l’école, la route ; arrivent le toubib et l’évangélisateur ; on prévoit l’arrivée du train auquel Djigui donnera beaucoup d’importance…Le roi sera chargé de récolter l’impôt, de fournir des travailleurs qui seront décimés par la dureté du travail et la brutalité des colons ou les soldats qui seront envoyés se faire tuer en France pendant les deux guerres mondiales. Le pays devient exsangue, la population décimée, des famines apparaissent, à cela s’ajoute l’implantation de nouvelles valeurs complètement étrangères aux traditions africaines. Prenant conscience de toute cette misère et de la perte d’identité de son royaume, Djigui tentera enfin de se rebeller, mais il sera bien trop tard…

Dans ce roman où le tragique côtoie l’humour et le dérisoire, Kourouma greffe la fiction à la réalité. Ainsi, si le royaume de Soba et son chef Djigui sont imaginaires, le roman s’appuie sur la grande histoire de la colonisation. Samory, empereur du pays mandingue et l’un des grands chefs mythiques de la résistance contre la France a bel et bien existé, et vers la fin du roman, l’un des fils de Djigui œuvrera dans le même parti politique que le personnage historique que fut Houphouët-boigny.
Colonisés et colonisateurs sont renvoyés dos à dos. La critique touche autant les européens, qui, sous des motifs de civilisation, sont occupés avant tout à piller le pays, que les africains qui se sont montrés impuissants à réagir, restant accrochés à une culture bloquée dans des croyances ancestrales et incapables d’évolution.
Un autre intérêt de ce livre est la juxtaposition de ces deux cultures qui ont bien du mal à se comprendre –si tant est qu’elles essaient – tant elles sont différentes. Les européens ont la science, la technologie, l’écriture, ils sont chrétiens (« nazaréens ») ; les africains écoutent leur griots, croient à la puissance du fétichisme et des sortilèges, ils sont à la fois musulmans et animistes (le fait par exemple que Djigui accueille et protège Yacouba, un iman plutôt intégriste, ne l’empêche pas de procéder à l’insu de celui-ci à des sacrifices en faveur des esprits). Des mots français sont intraduisibles en malinké ; ainsi, lorsque l’interprète parlera de liberté, ce mot sera compris comme « vient prendre maman » (et Djigui, déconcerté, se demandera pourquoi De Gaulle voulait absolument équiper les noirs d’Afrique de Vieilles mamans…) ; et le titre même du roman, Monnè, veut dire à la fois outrage, défit, mépris, injures, humiliation, colère, et n’a pas d’équivalent en français.

La langue riche de Kourouma est un français remodelé par le langage oral malinké, ce qui donne ce style si particulier et nous entre ouvre la porte sur l’imaginaire de l’Afrique de l’ouest. La narration est assurée par de multiples personnages. Le « je » est employé tour à tour par le personnage principal, Djigui, par le griot Kindia Mory Diabaté, ou par Soumaré, l’interprète ; ou le peuple prend la parole (emploi du « nous »), ou encore un narrateur externe, ce qui donne au lecteur l’impression d’être plongé au cœur même de l’action .

Ce livre de cet écrivain original représente donc, outre un point de vue des anciens colonisés sur la colonisation, une initiation à l’univers culturel africain et pose le problème de la place de l’identité culturelle africaine à travers l’histoire, l’intrigue du roman et la langue métissée de Kourouma.

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Les éditions

  • Monnè, outrages et défis [Texte imprimé], roman Ahmadou Kourouma
    de Kourouma, Ahmadou
    Seuil / Points (Paris).
    ISBN : 9782020349642 ; 7,40 € ; 02/09/1998 ; 277 p. ; Poche
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