Sans mon ombre
de Edmonde Permingeat

critiqué par Krysaline, le 28 mai 2019
(Paris - 59 ans)


La note:  étoiles
Un thriller domestique sympa!
C'est bien connu : on désire toujours le contraire de ce qu'on a, c'est le syndrome de « l'herbe plus verte dans le pré d'à côté » : les cheveux frisés rêvent d'être raides et vice et versa, les yeux bruns voudraient être bleus ou verts mais surtout pas bruns. le pauvre envie le riche (rarement le contraire cependant !!) en pensant qu'il a forcément une meilleure vie (plus confortable matériellement c'est sûr, mais il y a toujours des conditions suspensives) suscitant jalousie et obsessions.
Dans ce cas précis, il est question de deux jumelles à la vie et aux caractères diamétralement opposés :
Alice a fait de brillante études et est devenue professeure (de philo). Belle, émancipée, rebelle à tout et à l'autorité, sûre d'elle jusqu'à l'arrogance, elle manie volontiers le cynisme, le sarcasme et l'humour cinglant. Elle a fait de Nietzsche son « maître à penser », c'est peu dire!!
Élève laborieuse, Célia a, quant à elle, suivi l'école de la vie » en faisant ce qu'on attendait d'elle : se marier tôt, avoir des enfants et mener une vie de famille calme et sans histoires. De caractère plus réservé, Célia a vécu sous l'emprise et la dépendance de sa mère, puis sous celle de son mari.

Alors Célia, la sage mère au foyer, versus Alice, la rebelle, l'insoumise ? Y a-t-il matière à devoir faire un choix ?
Deux parties distinctes se dégagent dans le livre :
La première partie avec le présent ; c'est le point de vue d'Alice sur sa soeur et sa vie. Alice pense que Célia mène une vie « facile », une vie de rêve : entourée et aimée et surtout sans contraintes matérielles.
On s'aperçoit, contre toute attente, qu'Alice jalouse de manière compulsive la vie de sa soeur. Jalousie qui confine à la haine. La libre et frondeuse Alice, en quête éperdue de reconnaissance de sa mère, rêve d'un cadre de vie aisé, mais rêve-t-elle vraiment pour autant des responsabilités qu'une vie de famille impose ?
Convaincue de la nécessité de détruire « l'autre » pour pouvoir exister, que « la raison de plus fort » fait loi, se substituer à son doute pour être « révélée », elle affiche une réelle volonté d'être « mieux » voire « unique ». Usurper l'identité de l'autre, prendre sa vie. Pour « exister » faut-il « tuer » « l'autre » et prendre sa place ?
En psychanalyse, on en parle mais de façon abstraite. Dans ce roman, on passe à du « concret » et alors Alice nous apparait rapidement insupportable, détestable, égoïste et sans aucuns scrupules.
La seconde partie avec le passé sur la vie de Célia, vu par Célia au travers de son journal intime où l'on découvre « l'envers du décor ». Celle-ci voyait la gémellité en termes de complémentarité, comme les moitiés formant un tout.
La pauvre Célia n'est entourée que de gens mesquins et subit la goujaterie de son mari, mais aussi de la « bande d'amis » qui les entourent. Dédain et sarcasmes de la part de la belle-mère et belle-sœur, les rebuffades sont son lot quotidien. Elles ne perdent aucunes occasions de la rabaisser. Tout n'est qu'hypocrisie et faux-semblants.
Alice réalise alors qu'elle a « idéalisé » la vie de son « autre » elle-même…. On est toujours attiré par son contraire, comme je le disais au début.
Le livre fait de fréquentes références à « Alice au pays des merveilles » et à l'autre côté du miroir, au fait de devenir l'autre, de se fondre en elle. Devenir les deux à la fois… le reflet l'une de l'autre ou son ombre comme le titre en fait référence.
En psychanalyse et selon Carl Gustav Jung « L'ombre peut être définie comme notre double inversé, celui ou celle que nous aurions pu être, mais que nous ne sommes pas. C'est notre face obscure, elle contient l'ensemble des traits de caractère qui n'ont pas pu se développer dans notre personnalité. Elle symbolise en quelque sorte notre frère jumeau opposé qui est caché dans les profondeurs de notre inconscient”. Ici, les jumeaux sont réels et la dualité intériorisée dont parle Jung, se traduit par le meurtre réel de l'une d'elle. de plus, le « crime », même s'il est accidentel, est aggravé par le fait qu'Alice jette le corps de la falaise et prend la place de sa soeur. Alors qu'en psychanalyse on parle de s'affranchir symboliquement de son autre, dans le livre on passe de l'empirique au réel.
On pourrait aussi trouver matière à moult réflexions transcendantales sur le thème du « miroir » et du « double » … mais trêve de psychanalyse !!! le tout dernier chapitre est « étonnant » sans être renversant mais c'est un excellent thriller domestique dans la veine des Shari Lapena, AB Paris et autre B. Abel…
Un grand merci aux éditions de l'Archipel et @NetGalley pour la découverte de ce thriller psychologiquement bien travaillé