Eden, Tome 1 : Le visage des sans-noms
de Fabrice Colin (Scénario), Carole Maurel (Dessin)

critiqué par Shelton, le 29 mai 2019
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Vers quel Eden ?
Depuis qu’elle s’est mise à faire de la bande dessinée, j’ai été séduit par le travail de Carole Maurel. Chaque fois que j’ai pu, je l’ai interviewée, je l’ai écoutée et j’ai pris plaisir à comprendre sa narration graphique en profondeur. J’ai même réussi quelques fois à la confier à mes étudiants pour qu’ils aient la possibilité de rencontrer une autrice de qualité, une dessinatrice d’une efficacité remarquable et une personne très sympathique… Oui, pour moi, Carole fait partie de ces personnes qui illuminent et ensoleillent un salon BD…

Depuis quelques années, ses livres sont des moments de lectures fascinants : L’apocalypse selon Magda, Luisa Ici et là, Ecumes, Collaboration horizontale, En attendant Bojangles, Eden… Je me souviens même du premier album que j’ai lu, Comme chez toi, aux éditions KSTR… Mais, comme c’est étonnant de voir qu’en si peu de temps elle a acquis maturité, style, expérience… Oui, pour moi, sans aucun doute, Carole Maurel est une grande dessinatrice de bédés et une autrice à part entière !

Ce qui est fascinant c’est de voir qu’elle est capable de prendre une histoire qui n’est pas la sienne et de la faire vivre comme si c’était la sienne. Elle s’efface, elle se fond, elle s’intègre dans le travail des autres et le transforme pour en faire l’histoire absolue… Par exemple, je ne vais pas redire tout le bien que je pense de d’un ouvrage comme Ecumes, scénario d’Ingrid Chabbert, qui est une histoire autobiographique et très intime, Carole Maurel a eu à la fois deux sentiments immédiats : cette histoire était pour elle et ce serait probablement difficile de mettre des dessins adaptés sur une telle histoire !

En effet, le deuil est une affaire très personnelle et ce n’était pas le sien… Heureusement, grâce au texte d’Ingrid et à la confiance qu’elle va accorder à Carole, les images vont arriver pour rendre universelle cette reconstruction après le drame… Du coup, presque tous les lecteurs sont concernés et peuvent s’identifier à la maman qui tente de surnager dans les écumes bouillonnantes des flots terribles de la mort...

Pour son dernier travail, les deux tomes d’Eden, une belle histoire de science-fiction post apocalyptique de Fabrice Colin, elle a fonctionné de la même façon. Dès le départ, on est pris par un rythme, un style, une ambiance graphique. La patte de Carole Maurel agit instantanément… On ne peut pas lui échapper…

On est dans une ville américaine, San Francisco, quelques années après une apocalypse destructrice. La société s’est réorganisée et il y a comme des castes. Tout en bas, on rêve d’accéder aux hauteurs plaisantes… Heureusement, on peut le faire, mais c’est un incroyable concours que prépare avec beaucoup de concentration le jeune Jonas… Il faut dire que sa sœur Helix est déjà dans l’Eden car elle a réussi le concours…

Je ne vais pas vous offrir toutes les clefs de cette histoire très bien construite que j’ai lue avec beaucoup de plaisir. Certes, on va y retrouver quelques piliers de telles aventures comme : « on ne peut pas faire le bonheur des gens contre eux-mêmes », « les livres sont la véritable mémoire de l’humanité » et « on doit changer la monde par la révolte »…

Oui, sur le fond, ce n’est pas d’une nouveauté sidérante, c’est juste très profond, très humain, très bien raconté et dessiné et donc le lecteur pénètre avec délectation dans ce conte moderne et se demande comment tout va évoluer… La question est d’abord liée à l’univers d’Eden mais très rapidement il se concentre sur son propre monde car finalement la société d’Eden est certainement extrême mais peut-être pas si éloignée de celle de notre planète aujourd’hui… Allez savoir !

Il me semble, mais je peux me tromper que c’est la première fois que Carole Maurel travaille avec un homme comme scénariste. Pourtant, pour le lecteur, il ne semble pas qu’il ait de changement. Elle s’est approprié l’histoire, c’est bien devenu un peu la sienne et ça fonctionne… Généralement, par le passé, les scénaristes devenaient ses amies – Chloé, Ingrid, Navie pour ne pas les nommer – et j’espère qu’il en sera de même pour Fabrice car cela donne toujours une chaleur humaine à cet univers de la bédé…

J’ai hâte de rencontrer Carole Maurel pour cet Eden en espérant que l’entretien soit une véritable pause paradisiaque ce dont je ne doute pas un instant… Avec Carole Maurel, la discussion se prolonge toujours et on se croirait presque à ses côtés dans l’atelier avec des planches devant elle… Tout devient limpide, tout s’explique, tout semble si simple…

Bonne lecture à tous et rendez-vous dans cet Eden !