Les furtifs de Alain Damasio

Les furtifs de Alain Damasio

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Fantasy, Horreur, SF et Fantastique

Critiqué par Nav33, le 16 octobre 2019 (Inscrit le 17 octobre 2009, 76 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 046ème position).
Visites : 5 547 

Un thriller philosophique flamboyant

C'est tout un univers qui est inventé à partir d'une extrapolation de celui dans lequel nous vivons aujourd'hui. Les villes y sont privatisées. Les accès aux quartiers varient dans l'espace et dans le temps suivant le forfait que chacun peut acquitter : standard, premium ou privilège. Tout est contrôlé, notamment grâce à l'anneau que quasiment tout le monde porte et qui est l'évolution ultime du smartphone.
Cependant dans le public la rumeur court de l'existence d'êtres qui échappent à notre vision et vivent parmi nous : les Furtifs. Tishka, âgée de quatre ans a disparu. C'est la fille de Lorca sociologue pour communes autogérées et de Sahar professeur des rues clandestine en infraction avec le monopole de l'éducation privatisée. Le couple s’est séparé à la suite de ce drame et Lorca a intégré une unité secrète de l'armée comme chasseur de furtifs dans l'espoir fou de trouver une piste le conduisant à Tishka.
Une étonnante galerie d'autres personnages vont accompagner Lorca dans sa recherche désespérée avec pour chacun sa psychologie son comportement, mais surtout un parler propre qui varie d'un sabir de tagueur, aux discours analytiques d’intellectuelles très bourgeoises, aux envolées hermétiques d'un gourou philosophe , en passant par le phrasé mi-geek, mi forces spéciales, d'un militaire d'élite névrosé. Au-delà on s'aperçoit vite que chaque personnage a même sa propre ponctuation, qui permet de l'identifier en l'absence d'autre indication. Il faut y être attentif pendant la lecture, d'autant plus que les héros, leur langue et leur ponctuation évoluent selon des événements que je ne dévoilerai pas ici.

Le credo de cette œuvre est que la vie est mouvement, rythme, échanges, nouveauté, ouverture à l’inattendu, ... A l'opposé sont l’immobilisme, la propriété, l’entre-soi, le renforcement sectaire de ses propres idées sans confrontations avec celles des autres. Le e-commerce dans lequel nous vivons déjà et qui atteint son apogée dans cet avenir, nous propose de nous gaver de ce qui ressemble à ce que nous avons déjà consommé. La sécurité y prime bien sûr sur toute liberté.

Il y a aussi une dimension de révolte contre la mort. Le remède n'y est pas dans la croyance en un au-delà, mais dans une vision de la vie dans une réalité au-delà des individus et des espèces, comme un ensemble de vibrations, de métamorphoses et d'hybridations sans fin.
L'origine de cette quête, illustrée par le personnage de Tishka et de son père Lorca est sans doute donnée dans la dédicace qui suit la dernière page du livre :
«A la mémoire de Marilou
qui s'est envolée un jour de soleil
au-dessus des arènes de Nîmes
et qui n'a pas voulu retomber.
Ce roman tu l'a vu naître
et maintenant tu y habites
et tu y bouges, en furtive
à la lisière de nos oublis.
Dans un angle vif, parfois,
je te vois encore :
tu luis »

Cette œuvre est à la fois divertissante, truculente, philosophique. Elle est aussi politique. Si on n’adhère pas au message politique qu'il contient cela n'enlève rien au plaisir qu'on peut y trouver.
J'ai plus apprécié les premiers trois cinquièmes du livre c'est à dire jusqu'au moment où le mystère de la disparition de Tishka reste entier et où toutes les hypothèses restent complètement ouvertes.

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orange amère

8 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 27 février 2024

Dans un monde imaginaire, pas si loin du nôtre puisque l’auteur se projette dans la France de 2040, les villes ont été vendues par l’état au plus offrant, c’est-à-dire des multinationales capables de prendre à leur charge logement, commerce et surtout police car il s’agit comme il se doit d’un monde très "polissé". Parmi elles, le groupe Orange (oui, le célèbre spécialiste des télécommunications) a fait main basse sur la ville du même nom dont il a fait sa vitrine. Les citoyens se répartissent en trois groupes, "standard", "premium" et "excellence" avec des accès limités ou illimités à des niveaux de réalité "augmentée" voire "ultime", selon leur revenu, grâce aux piercings, boucles d’oreilles, lentilles de contact et autres gadgets connectés permettant un contrôle total de la population. Un futur proche à faire frémir, ou jouir, c’est selon. Fort heureusement, la résistance s’organise et la récente découverte d’êtres étranges, habitant notre monde à notre insu depuis des millions d’années mais ayant échappé jusque-là à toute investigation grâce à leur exceptionnelle faculté de se cacher, va changer la donne. Sur cette trame dystopique digne de George Orwell, Aldous Huxley, René Barjavel et quelques d’autres moins célèbres, se greffe l’histoire touchante de Lorca et Sahar Varèse, un couple désuni ne parvenant pas à faire le deuil de leur fille Tishka, mystérieusement disparue à l’âge de trois ans alors qu’elle dormait tranquillement dans sa chambre. Le roman est envoûtant, attachant par sa tonalité politique exaltant la révolte, finalement victorieuse, contre l’utilisation des progrès technologiques aux fins d’asservir l’humanité, et le parcours de quelques personnages solaires, Lorca, Sahar et leurs amis. Il s’agit aussi d’un très beau travail sur le langage, avec de superbes envolées poétiques sur le mode du rap et du slam, mais la référence constante aux concepts de la sémiotique et de la linguistique comparée rend la lecture souvent chaotique, au détriment du message politique et l’attachement du lecteur aux personnages et à leur destin contrarié. Dommage…

Ardu mais passionnant

9 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 6 février 2023

Lorca Varèse 43 ans, sociologue civil devenu militaire, réussit le difficile examen de chasseur de furtifs ; espèce de créatures invisibles qui prennent l’apparence de l’endroit où elles sont, qui communiquent en laissant des traces, les glyphes, en émettant des sons reproduits, mémorisés, capables de sacrifier un de leurs organes, mais qui se suicident quand ils sont vus, se transformant alors en objet, en porcelaine, en pierre…
Lorca peut intégrer le RECIF (Recherches, Études, Chasse et Investigations Furtives), l’unité chargée de chasser les furtifs sous la direction de Felks Arshavin, le directeur, où il rejoindra de Saskia, chef de la troupe, traqueuse phonique, Hernan Aguero 39 ans, et Ner dans une équipe de choc.
On est en 2040, de nombreuses villes sont privées, codifiées, étroitement surveillées, "L’axe Bruxelles-Lyon-Marseille était devenu une sorte d’hyper-espace compact qui ne valait plus que par les bankables cities où l’air Train s’arrêtait : Nestlyon, Moacon, Paris-LVMH, Lille-Auchan, AlphaBrux."
Lorca vit à Orange. Comme Sahar, son épouse dont il est séparé depuis la disparition inexplicable de leur petite fille de 4 ans Tishka ; lui persuadé qu’elle est partie ou a été enlevée par des furtifs, elle refusant d’y croire.
Et il est bien décidé à retrouver sa petite fille .
Mais le furtif pour lequel l’armée accepte de débloquer des fonds, est-il un moyen de faire avancer les sciences, la technologie humaine ou une occasion supplémentaire de contrôler les hommes ?
Lorca comprendra rapidement qu’ils n’ont pas tous les mêmes objectifs, que de nombreux groupes rebelles existent et vivent dans cette ville, et sont capables de l’aider.
Sa recherche l’isolera parfois mais sera aussi fédératrice de tous ceux qui fuient ces univers sécuritaires et normés.

Un roman incroyable et déroutant ; surtout pour moi qui ne connaissait pas cet auteur.
Déroutée tout d’abord par le vocabulaire, le lexique utilisé, je me suis vite aperçue que je n’avais pas besoin d’une définition précise pour comprendre le message, la phrase ; et quel plaisir de lecture de découvrir ces mots, (anarchitecte 1/g insurgé...)
Déroutante aussi, la ponctuation innovante et originale, placée en début de paragraphe, qui indique un changement de narrateur ; narrateurs que l’on identifie rapidement au fil de la lecture.
Ainsi que l’utilisation du conditionnel dont l’explication vient plus tard.
Et si j’ai trouvé quelques rares passages fastidieux, j’ai été impressionnée par le talent d’un auteur capable de maintenir une construction cohérente, mêlant le féerique et le possible, alternant avec équilibre les passages intimes avec de véritables scènes de combats très cinématographiques.
Un début difficile puis une suite et une fin passionnantes.

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