Célanire cou-coupé
de Maryse Condé

critiqué par Tistou, le 29 août 2019
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Une femme forte
Premier contact avec l’écriture de Maryse Condé, la Guadeloupéenne. Pas du tout ce à quoi je m’attendais. (et d’ailleurs pourquoi diable m’attendais-je à quelque chose ?)
Le style penche vers les cousins d’Haïti, les Dany Laferrière, Lyonel Trouillot, … ou ceux d’Amérique Centrale type Gabriel Garcia Marquez.
Une dose d’onirisme - enfin, la frange de l’onirisme - du féminisme- une bonne dose de féminisme - et un plaisir palpable à écrire, raconter, de la part de Maryse Condé.

»Cette histoire est inspirée d’un fait divers. A la Guadeloupe, en 1995, un bébé fut trouvé, la gorge tranchée, sur un tas d’ordures. Les imaginations allèrent bon train à travers le pays. La mienne comme les autres. »

Maryse Condé n’a pas peur de nous faire voyager puisque Célanire Pinceau, c’est le nom de notre omniprésente (pour ne pas dire omnipotente !) héroïne, a été éduquée religieusement (elle est une oblat ; entendre une religieuse qui n’a pas prononcé ses vœux) à Lyon, venant de Guadeloupe, mais arrive à Grand Bassam (Côte d’Ivoire) en 1901 quand commence le roman, rebondit à Cayenne et revient en Guadeloupe où elle reste fixée après un petit crochet au Pérou.
Célanire porte en permanence un foulard autour du cou et c’est longtemps après que le roman soit entamé qu’il nous sera dit formellement que c’est pour cacher la cicatrice d’un cou coupé. Un cou coupé quand elle était un bébé !
Mais Célanire n’est plus un bébé. C’est une femme bien éduquée, intelligente, et surtout, très déterminée. L’objet de sa détermination ne se dévoilera que progressivement, comme un brouillard qui a beaucoup de mal à quitter la rive d’un fleuve, même si l’on se doute bien qu’il doit y avoir un rapport avec son cou coupé.
L’histoire n’est pas si facile à suivre, au moins pour la partie qui fait appel à des retours en arrière afin de permettre au lecteur de saisir les lignes de force des actions de Célanire.
Personnage hors du commun, aux pouvoirs de séduction et d’action qui frisent l’occulte, on a du mal à se faire une projection mentale de Célanire. D’autant que (déjà dit) elle est extrêmement déterminée et partant ne s’embarrasse pas de scrupules.
Pour le personnage j’ai pensé à Hillela, dans « Un caprice de la nature », de Nadine Gordimer. Même égérie féminine qui surmonte tous les obstacles sans s’embarrasser de sentimentalisme, femme de pouvoir. (tiens, les deux romans ont été écrits par des femmes !)

»C’est que simplement l’oblat n’était pas ordinaire. Elle ne parlait guère. Elle ne semblait pas curieuse, excitée comme ses compagnes, impatientes de commencer leur apostolat.En plus, sa couleur la mettait à part, cette peau noire qui l’habillait comme un vêtement de grand deuil. Elle n’était pas franchement négresse. Plutôt métisse d’on ne savait combien de races. Elle ne portait pas l’habit religieux, n’ayant pas prononcé de vœux. Elle était vêtue d’une stricte robe grise et portait, autour du cou, un foulard coupé en deux par un ruban qui soutenait une massive croix en or. Hiver comme été, matin, midi et soir, elle ne quittait jamais ce foulard, toujours noué serré, assorti à la couleur de ses vêtements. D’où sortait-elle ? De la Guadeloupe ou de la Martinique. »