Les choses humaines de Karine Tuil
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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#Balancetonporc en roman
Jean Farel, journaliste politique célébrissime, brille tant par sa notoriété que par son côté carnassier. Son ex-épouse tente une tentative de suicide, le jour-même où il est promu au sein de l'ordre de la Légion d'honneur, alors qu'il est menacé par son nouveau patron, peu enclin à la bienveillance envers une vedette vieillissante, de 70 ans.
Une autre tuile assombrit le tableau, qui devient le centre de l'intrigue du présent roman : son fils, Alexandre, le réel protagoniste de cet histoire, est accusé de viol, lors d'une soirée arrosée. Brillant étudiant au parcours scolaire sans faille, aux performances sportives appréciables, arborant l'arrogance de la jeunesse dorée, il intègre une grande école, comme il se doit. Tout bascule très vite, avec la garde à vue, le contrôle judiciaire, le pathos habituel de la procédure pénale éculée par les séries télévisées, mais dans son acception française, jusqu'à l'audience en assise.
Sans vous livrer le dénouement, je dois vous spécifier le but de cet ouvrage. Il retrace un climat, le besoin de responsabilisation des hommes dans leur comportement sexuel, de maîtrise de leur assurance, après l"éclosion de #Balancetonporc. Ce sujet est ici analysé, et cela s'avère nécessaire pour mieux comprendre le double phénomène, l'intérêt subit pour un problème dont il est enfin possible de parler, le mécanisme poussant à forcer le consentement de sa victime. Le roman met un peu de temps avant d'annoncer son vrai sujet, mais le premier traité sur les compétences et le jeunisme dans les médias ne reste pas vain ; celui qui s'avère être le véritable répond à une nécessité de prise de recul sur un mécanisme qui prendre la forme d'un emballement, comme il est relaté dans les réactions à l'affaire dans les réseaux sociaux. Ce livre invite donc à réfléchir à la gravité du viol et aux manières d'en parler. C'est utile, intéressant et pratiqué sans fioriture ni pathos.
Les éditions
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Les choses humaines de Tuil, Karine
de Tuil, Karine
Gallimard
ISBN : 9782072729331 ; 21,00 € ; 22/08/2019 ; 352 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (5)
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Qu'est ce que le consentement ?
Critique de Psychééé (, Inscrite le 16 avril 2012, 36 ans) - 3 mars 2021
Ce roman, c’est celui d’un procès pour viol. L’accusé : Alexandre Farel, jeune étudiant brillant à qui tout réussit, fils du célèbre journaliste Jean Farel, qui fait constamment pression sur son fils pour qu’il se dépasse. La victime : Mila, la fille du nouveau compagnon de la mère d’Alexandre, juive pratiquante et réservée. Le procès est très médiatisé et leurs vies intimes sont disséquées et banalisées pour énoncer tous les faits. L’avocat de la défense établit une plaidoirie redoutable pour que l’accusé soit jugé d’après ses actes et non en tant que bouc émissaire de « cette folie de la délation de la société » qui l’a déjà condamné d’avance. Il est difficile de croire l’un ou l’autre, tant leurs versions et leur sincérité semblent authentiques et leurs vies déjà gâchées. Pourtant, il y a des incohérences des deux côtés mais aussi des violences subies de part et d’autre. Karine Tuil nous interroge sur ce qu’est un viol de manière extrêmement sincère et les subtilités à prendre à compte. Elle nous captive dès les premières lignes et nous offre une conclusion bluffante et grandiose, à l’image du roman. J’avais adoré L’invention de nos vies et ce roman confirme une fois de plus son talent !
« Comment basculait-on ? Ce qui s’exprimait dans les salles d’un tribunal, c’était le récit d’existences saccagées, c’était la violence, les blessures d’humiliation, la honte d’être à la mauvaise place, d’avoir cédé aux déterminismes, au désir, à l’orgueil ; d’avoir commis une faute, une erreur de jugement ; d’avoir été léger, cupide, manipulé, manipulable, impuissant, inconstant, injuste … d’avoir souffert ou fait souffrir ; d’avoir fait confiance, par aveuglement, amour, faiblesse ; la honte d’avoir été violent, égoïste, d’avoir volé, violé, tué, trahi ; de s’être trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, de payer pour son enfance, les erreurs de ses parents, les abus des hommes, leur propre folie ; la honte de dévoiler sa vie, son intimité, livrées sans conditions à des inconnus »
Sur un thème très actuel
Critique de Cédelor (Paris, Inscrit le 5 février 2010, 53 ans) - 27 octobre 2020
Donc il est clair que l’intention du roman est d’ambition. Je trouve que Karine Tuil, dont c’est le premier livre que je lis, s’en sort très bien, avec une puissance stylistique personnelle qui m’a bluffé. Les premiers chapitres m’ont fait l’effet d’un coup de poing littéraire ! C’est une littérature qui arrache ! C’est surtout la première partie que j’ai adorée, par l'intensité de sa construction narrative et les thèmes forts qui sont développés, relations familiales, éducation, féminisme, terrorisme, réseaux sociaux, identités religieuses, sexuelles, sociales, malgré parfois l’utilisation des grosses ficelles comme le fils qui écoute derrière une porte des toilettes les confidences du père, bien à propos. Mais tant pis, cela n'enlève rien à la qualité du livre. C’est vivant, fort, sensible, mordant, révélateur de certaines mœurs d’une certaine « haute » société politico-médiatique, que l’auteur semble bien connaître et qui en retrace les travers avec une ironie mordante et caustique, et une fine psychologie. Piquant à lire mais aussi attristant sur ce que ça dit de la mentalité des gens qui y gravitent. Celle de l’arrogance de la toute-puissance (ou crue comme telle) et celle de l’idée que ça donne sur la place des femmes dont les hautes positions dans le monde politique et médiatique ne seraient obtenues qu’en contrepartie de faveurs sexuelles du fait de la prédominance masculine aux postes de pouvoir.
Toute cette première partie, qui est formidable par la puissance de son style et de son propos aboutit à la seconde partie, qui est la relation d'un procès pour viol, qui a aussi son intérêt, mais qui fige le récit sur la scène unique d'un prétoire et casse le rythme sur lequel allait le roman jusqu'ici. J’ai trouvé ça dommage et je me suis demandé s’il n’y avait pas moyen de retranscrire le procès en gardant le style qui prévalait jusqu’ici ? Au lieu de quoi, on doit assister à la chronique précise et circonstanciée des faits, des témoignages, des interrogatoires, des plaidoiries. Comme je le disais, cela a son intérêt, et j’étais impatient d’arriver enfin au verdict, qui termine presque le livre. Mais cela aplatit tout ce qu’avait d’enlevé et de jubilatoire le récit jusqu’ici. Cela doit être le parti pris volontairement par l’auteure, qu’il en soit donc ainsi. La forme voulue à la relation du procès doit appuyer l’analyse que l’auteure entend donner à son livre, qui est, je le comprends ainsi, un essai sur l’état de notre société sur les questions du sexe, des rapports hommes/femmes, la violence sexuelle provoquée par la domination masculine (pas toujours consciente pour les hommes, subie dans tous les cas pour les femmes), le féminisme (qui est une réaction à cette domination), et que le procès est une manière de passer au scalpel, dont la principale est selon moi : peut-on condamner un homme qui n'a pas la conscience d'avoir commis un crime sexuel ? Car un rapport sexuel peut être vu comme un viol par la fille et comme consenti par le garçon. D'où toute la difficulté de définir la limite légale d'un rapport sexuel.
Mais la fin est décevante. Non qu'elle soit ratée mais celle qu'a voulue l'auteure n'est pas celle à quoi je me serai attendu de sa part, et que je désirais. C'est en quelque sorte une fin moralisatrice à l'envers, à rebours même. Donc, selon cette fin, l'avantage continue à aller à ceux qui sont les mieux placés dans la société. Et l'auteure l'a peut-être voulue ainsi volontairement pour montrer que la réalité fonctionne réellement ainsi, malgré les progrès actuels à plus d'équité et de justice.
Ou alors l'auteure a voulu montrer qu'il faut résister à la tentation de hurler avec les loups de la pression médiatique et de l'opinion impérative, et qu'il est important avant tout de garantir l'indépendance de la justice qui doit pouvoir juger en toute sérénité les faits et porter un jugement aussi juste que possible, malgré la condamnation sans recul de la société (ou de la partie de la société qui s’exprime via metoo et les réseaux sociaux, leur donnant par là-même beaucoup de visibilité et de pouvoir de nuisance).
Un livre aux problématiques très actuelles, passionnant à suivre, brillant, d’une grande acuité et qui maitrise ses sujets. Je découvre avec Karine Tuil une auteure intéressante, et cela me donne envie d’aller découvrir ses autres écrits.
Roman post “Me -Too”, ou pour vingt minutes d'action
Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 5 avril 2020
Jean est un journaliste politique vedette qui a interviewé tous les grands de ce monde, et tous les Présidents français vivants ou morts. Sa femme Claire, de 27 ans sa cadette, est une écrivaine féministe qui fait aussi la part belle à l’actualité médiatique. Ensemble, ils ont un fils, Alexandre, brillant et arrogant étudiant de Stanford.
Cependant, ils se séparent. Jean est trop pris par sa vie professionnelle qui l’oblige à rester sur le qui-vive mais aussi par une double vie sentimentale qu’il mène avec Françoise, Claire, lassée de l’égocentrisme de Jean, part vivre avec son nouveau compagnon, Adam, un professeur juif, également marié et père de famille.
Soudain, le roman prend une autre tournure. Au cours d’une soirée arrosée, Alexandre aurait abusé de la naïve Mila, une des filles d’Adam, laquelle dépose plainte pour viol.
C’est alors l’emballement de la machine médiatique-judiciaire qui va remettre en cause les relations et les opinions des uns et des autres. La seconde partie du roman est essentiellement consacrée au procès du fils prodigue et aux débats judiciaires au cours desquels passent à la barre tous les personnages et protagonistes évoqués dans la première partie du livre.
La donne a changé depuis « Me Too », et l’autrice a parfaitement posé la dialectique, en précisant que les rapports devront évoluer et qu’il n’y a pas lieu de condamner rétroactivement ce qui est un abus de position dominante en vue d’obtenir un rapport sexuel non consenti en un viol, qui implique la force, la ruse et la violence physique.
Est-ce moins grave ? Non, mais ce n’est pas la même chose.
Cette affaire a permis aux femmes d’oser dire « non » de manière claire si le souhait n’y est pas, et cela conduira les hommes, particulièrement ceux qui détiennent une part de pouvoir, à prendre conscience que ce qui semble être un consentement un peu forcé, n’est tout simplement que de la contrainte. Certains hommes devront donc arrêter de penser que quand une femme dit « non », ce n’est pas par pudeur, mais bien l’expression d’un refus.
Ce roman, au style fluide et agréable, est d’une grande intelligence et est bâti dans la nuance. Il ne pouvait d’ailleurs être écrit que par une femme d’une grande classe qui seule pouvait légitimer un tel point de vue.
Au sein de la High Society parisienne
Critique de Ori (Kraainem, Inscrit le 27 décembre 2004, 89 ans) - 5 janvier 2020
Ce bon roman aurait pu être excellent, n’était-ce le poids tout à fait considérable accordé à un procès pour viol et qui, selon moi, bouscule l’appréciation de l’ensemble de l’ouvrage.
Belle écriture et bonne analyse psy, qualités auxquelles Karine Tuil nous a déjà accoutumés avec « L’insouciance » et « L’invention de nos vies ».
Ma liberté s'arrête là où commence...
Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 2 décembre 2019
Le procès prend la majeure partie de ce roman et est décrit dans ses moindres détails, interrogatoires…
Le tout se déroule sur fond de débat MeeToo et BalanceTonPorc. Et ce roman a le mérite d’aborder ce débat et pose également la question de la limite entre consentement et refus, mais je n’ai pas aimé le thème du viol. Comme délassement, on fait mieux ! Les personnages sont tout sauf attrayants, plutôt répugnants : père égocentrique, fils incapable d’empathie…
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