Lolita, la véritable histoire - L'affaire qui inspira Vladimir Nabokov
de Sarah Weinman

critiqué par Blue Cat, le 15 décembre 2019
( - 60 ans)


La note:  étoiles
LOLITA, littérature ou fait divers ?
Ce livre relate en détail l'enlèvement en 1948 de la petite Sally Horner, 11 ans, dans une petite ville du New Jersey. L'auteure, Sarah Weinman, est journaliste d'investigation.

La thèse de l'auteure est que Vladimir Nabokov s'est inspiré de ce fait divers pour écrire son chef-d'oeuvre 'Lolita'. Ou plutôt qu'il aurait fait quasiment un copié/collé, en romançant légèrement.

Alors tâchons d'y voir plus clair, en comparant les deux histoires :

Le 'Lolita' de Nabokov :
Lolita, 12 ans, est embarquée par son beau-père, le professeur Humbert Humbert, pour une cavale à travers les Etats-Unis, après le décès de la mère. Celui-ci abuse d'elle très rapidement. Cette odyssée dure 2 ans pendant lesquels il se fait passer pour son père. Après quoi, Lolita s'enfuit, épouse un brave garagiste et meurt en couches à 18 ans.

Le fait divers :
Sally Horner, 11 ans, est kidnappée par un garagiste quinquagénaire, Frank La Salle, pédophile récidiviste, se faisant passer pour un agent du FBI pour la duper. Il abuse d'elle très rapidement. La cavale dure 2 ans à travers les Etats-Unis. La Salle se fait passer pour son père et trompe ainsi quantité de témoins. Deux ans plus tard, la police délivre la petite, âgée alors de 13 ans, qui retrouve sa famille. A 15 ans, elle meurt dans un accident de voiture provoqué par son petit copain d'un soir.

Nous savons que Vladimir Nabokov avait lu le récit de cet enlèvement dans les journaux ainsi que sa résolution, cette affaire avait fait grand bruit. Nous savons aussi, car il ne s'en est pas caché, qu'il avait lu quantité d'autres récits d'enlèvements de fillettes, ainsi que les écrits de psychiatres portant sur les séquelles laissées par ce type d'enlèvements pédophiles. Mais qui prétend qu'un écrivain est exempt de toute influence ? Vit-il sur la lune, ignorant de tout ce qu'il se passe dans le monde ? Bien sûr que non.


Ma conclusion est que le 'Lolita' de Nabokov est bien une œuvre littéraire à part entière, et au-delà, un chef-d'oeuvre de la littérature, quelque sentiment d'antipathie que puisse inspirer Humbert Humbert. D'autant qu'il est le narrateur de l'histoire et il est bien connu que le lecteur s'identifie spontanément au narrateur, parfois inconsciemment. Nabokov nous fait un peu complice de son narrateur, brillant, intelligent, cultivé et spirituel, mais aussi pédophile...

Alors, pervers, Nabokov ? Sans doute, en pensées sinon en actes. On sait qu'il tournait autour de ce thème de la pédophilie depuis ses jeunes années. Mais aussi, et surtout, immense écrivain qui a produit, avec 'Lolita', une œuvre intemporelle et universelle.

Il va sans dire que si Sarah Weinman n'avait pas relié 'de force' ce chef-d'oeuvre et le fait divers qu'elle relate, son livre aurait eu beaucoup moins de retombées médiatiques. Alors, malhonnête Weinman ? Sans doute un peu.

Ce qui reste au lecteur, une fois le livre achevé, c'est un sentiment de tristesse pour ces deux petites victimes traumatisées, mortes beaucoup trop jeunes. La Lolita de Nabokov et la Sally Horner de Weinman sont deux petites filles sacrifiées, réunies le temps d'un livre.

On oubliera le nom de Sally Horner, mais pas celui de Lolita. Lolita sera le linceul de toutes les petites Sally oubliées, par la grâce d'un chef-d'oeuvre de la littérature.