Feel good de Thomas Gunzig

Feel good de Thomas Gunzig

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Nathavh, le 15 décembre 2019 (Inscrite le 22 novembre 2016, 59 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 204ème position).
Visites : 2 891 

Feel good

Attention pépite ! ♥♥♥♥♥

Si vous commencez "Feel good", vous risquez de ne pas le lâcher avant de l'avoir terminé, et je peux vous affirmer que vous ne verrez plus le "feel good" de la même façon.

C'est une magnifique satire sociale. C'est actuel, cela aborde de vrais problèmes de société : la pauvreté ou du moins la marge infime qui fait que tout peut basculer - de la pauvreté à la précarité. Et pourtant, il y a toujours de l'espoir et de l'humour. Thomas Gunzig nous fait prendre conscience de certaines réalités sociales de notre monde contemporain avec intelligence , le tout avec empathie et une grande sensibilité.

L'histoire ? Me direz-vous ?

D'un côté, il y a Alice qui petite déjà était dans une famille où l'on devait compter, de celle où on était toujours "tout juste"...

Elle a grandi, est partie de chez elle, emménageant dans un petit appart, a trouvé un travail comme vendeuse dans un magasin de chaussures. Enceinte, elle a choisi d'élever seule son enfant. Aujourd'hui elle a 46 ans, le magasin a fermé, elle se retrouve au chômage, son fils Achille a six ans. C'est galère, car c'était déjà tout juste aussi pour elle depuis le début... avec six cents euros de moins du jour au lendemain et des indemnités dégressives, c'est la cata..

Mais que faire pour assurer un avenir meilleur à son fils ?

Enlever un enfant de riche devant une crèche de bourgeois, des gens plein de fric, et puis demander une rançon. C'est son plan, c'est loufoque oui mais cela peut marcher.. en théorie car les parents ne se manifestent pas et elle se retrouve avec deux enfants sur les bras....

Tom est écrivain sans réel succès, il est incompris, largué par sa douce et lui aussi a perdu son job alimentaire et est dans une situation qui devient précaire. Le hasard fera qu'il rencontre Alice et que son histoire soit pour lui l'opportunité d'écrire le livre qui va changer sa vie et lui apporter la gloire convoitée. Oui mais Alice ne l'entend pas vraiment de cette façon ...

La suite dans ce roman passionnant.

Vous me dites, mais c'est sombre tout cela, pas vraiment feel good ? Remboursez, c'est hors sujet..

Patience, on en parle du feel good, on parle aussi de littérature, du processus d'écriture, du parcours de l'écrivain et ses rapports à l'édition, les réseaux sociaux autour du livre, l'univers de la blogosphère, d'Instagram etc...

Thomas Gunzig nous propose non pas un roman, mais deux romans. Certaines situations semblent loufoques, incroyables mais pas tant que cela en réalité, si si vous verrez..

J'avais l'impression d'entendre l'auteur me racontant l'histoire avec son phrasé si particulier que j'adore. Des personnages bien construits, une écriture sincère, emphatique, un rien caustique par moment, intelligente et drôle. Lorsque l'improbable, l'absurde deviennent normalité. J'adore !

C'est passionnant, les codes du feel good et le monde de l'écriture n'auront plus de secrets pour vous après cette très belle lecture. Un bon moment garanti.

Immense coup de ♥


Les jolies phrases

Qu'ils aillent se faire foutre avec leurs articles.

Elle n'avait aucune idée de ce que pouvaient être ces putains de clés du bonheur mais elle savait que manquer de fric c'était vraiment l'horreur.

Alice ne se demanda pas si le travail lui plaisait ou pas, ce n'était pas la question. La question c'était que c'était un contrat et qu'un contrat c'était un salaire et un travail et qu'un travail et un salaire, c'était comme ça que s'envisageait la vie.

Alice était jalouse. Elle n'aimait pas ça, mais elle devait l'admettre : cette brûlure qu'elle sentait lui carboniser le coeur, cette main glacée qui lui serrait la gorge, ce frisson visqueux qui lui parcourait les veines, c'était de la jalousie, de la jalousie bien concentrée sécrétée par les glandes de sa vie médiocre. Mais dans cette jalousie-là, il y avait aussi autre chose : il y avait des grumeaux durs comme des silex, noirs comme des nuits d'hiver, coupants comme des rasoirs. Ces grumeaux, c'était de la colère. Elle aussi bien concentrée. De la jalousie et de la colère à l'égard de ceux qui avaient de l'argent.

Ça faisait longtemps qu'entre Tom et Pauline il n'y avait plus grand-chose, une espèce d'habitude d'être ensemble. Par optimisme, il essayait de considérer cette habitude comme de l'affection mais au fond de lui il savait bien que ce n'était rien d'autre que de l'habitude, que c'était comme un chemin que l'on emprunte chaque jour depuis des années sans jamais en changer, par manque d'imagination, par paresse, par absence de courage.

C'était sans doute ça, être un vieux couple : savoir qu'il n'y a plus rien à attendre mais continuer malgré tout parce qu'il est trop tard pour les changements.

- C'est quoi le feel good book ?
- C'est un livre "pour se sentir bien". En gros, on doit présenter la vie sous un angle positif, faire des portraits de personnages qui traversent des épreuves compliquées mais qui s'en sortent grandis. Ce sont des histoires dans lesquels l'amitié triomphe de l'adversité, dans lesquelles l'amour permet de surmonter tous les obstacles, dans lesquelles les gens changent mais pour devenir meilleurs que ce qu'ils étaient au début...
-Aaaaah, il faut parler de résilience et de conneries comme ça ?
- Oui, par exemple, il y a pas mal de psychologie. Mais de la psychologie à trois sous, des notions pas du tout approfondies, des choses très basiques que le lecteur doit saisir en un instant, il y a souvent un petit côté "développement personnel" et puis faut pas hésiter à avoir la main lourde sur la spiritualité. La spiritualité, ça va donner au lecteur l'impression de faire partie d'un tout plus grand que lui, qu'il a accès à la transcendance, que des anges veillent sur lui ou des trucs du genre ...

Même si l'entreprise était vouée à l'échec, ce n'était pas vraiment important. Ce qui était important, c'était de se rendre compte qu'on pouvait agir sur sa vie. Qu'on pouvait "prendre l'initiative" et que ça faisait véritablement bouger les choses.

Être pauvre dans un monde de riches, c'est encore pire que d'être pauvre dans un monde de pauvres.

Tom avait conclu qu'élever des enfants, c'était l'inverse d'écrire des livres : pour écrire des livres, il fallait inventer le réel, pour élever des enfants, il fallait réagir au réel.

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De la galère à la galerie

8 étoiles

Critique de Millepages (Bruxelles, Inscrit le 26 mai 2010, 65 ans) - 22 juillet 2024

De manière générale, je n’ai pas spécialement un bon feeling s’agissant du genre « Feel good ». Mais l’auteur en ayant fait le titre de son livre, tout indiquait qu’il s’agirait plutôt d’une caricature, ce qui en faisait du coup un livre potentiellement intéressant. Il l’est et, combiné à l’humour particulier de l’auteur, il devient même un livre recommandable.

Les deux personnages principaux sont vraiment attachants.
Alice. On comprend vite que, très tôt orpheline de père et élevée par une mère sans beaucoup de moyens, elle serait vouée à une existence marquée par les fins de mois difficiles; une fin tombant de plus en plus tôt dans le calendrier, lot que partagent la plupart des mères célibataires. Elle multiplie les petits boulots jusqu’à s’adonner à des activités ponctuelles qui lui font honte. Elle est désespérée de ne pas pouvoir offrir mieux à son petit Achylle, invente d’autres stratagèmes foireux qui n’ont d’autre effet que de l’enfoncer un peu plus. Et comme dans l’image bien connue, c’est au moment où elle va bientôt le toucher qu’un coup de talon énergique dans le fond de la piscine la fera remonter à la surface et lui sortira la tête de l’eau au-delà de toute espérance (je ne divulgâche rien, c’est bien une caricature de feel good, mais un feel good quand même).

Tom. Ayant juré d’échapper à la médiocrité auquel il semblait voué étant jeune, il s’était mis en tête de devenir écrivain. Avec un certain succès d’estime. Mais le milieu et la concurrence sont impitoyables : pour pouvoir espérer vivre de sa plume, il faut non seulement que celle-ci soit belle, encore faut-il qu’elle soit traversée ici et là d’éclairs de génie. Et malheureusement, Tom n’est pas un foudre de guerre en la matière. Au moins, il a le mérite de ne pas abandonner son rêve originel, même si devant la succession de succès mitigés et de semi-échecs, il y pense très souvent. Bien sûr, l’auteur est bien placé pour décrire la psychologie, les manies, le monde de l’écrivain. Par exemple à l’occasion de vacances passées en famille. Cette manière d’être dans sa bulle plutôt que de partager les moments de découvertes, d’émotions ou d’émerveillements avec les siens. C’est qu’il réfléchit à la manière de transmettre ces moments privilégiés dans son prochain ouvrage, d’où cette distance. Petite pensée donc pour les conjoint.e.s, enfants et proches d’écrivain.e.s et artistes confirmés ou non.

Alice et Tom. Il était évident que ces deux-là allaient finir par se rencontrer et que, à l’instar d’une règle mathématique bien établie, leurs moins respectifs allaient se multiplier pour donner des plus. C’était suggéré dès le titre, c’est le principe du genre.

Une réflexion sur la littérature en général pour terminer. Il y a plus de vingt ans, lors d’une conférence littéraire mettant à l’honneur les deux derniers lauréats du prix Rossel (le « « « Goncourt » » » belge), j’avais demandé à Thomas Gunzig et Xavier Deutsch s’ils pensaient que les livres pouvaient changer le monde. Non, d’après eux ils pouvaient juste donner du plaisir et du recul, sans plus. Avec justement ce recul de 20 ans, je pense moi que si nos dirigeants lisaient plus de romans (certains le font peut-être), ils auraient sans doute plus d’empathie pour des catégories de gens qu’ils n’ont généralement pas l’occasion de côtoyer. Ces lectures seraient particulièrement utiles pour modérer les rentre-dedans et va-t’en guerre de tous poils qui dirigent certaines parties du monde, tels des mégalomanes (ou autre « maga »-lomane).

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