Positions pour la lecture
de Daniel Simon

critiqué par Débézed, le 22 décembre 2019
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Lire, écrire, éditer,...
« En amicale connivence », j’ai été touché quand j’ai lu cette allusion complice dans la dédicace glissée par Daniel Simon, à mon intention, à l’intérieur de son dernier recueil que je viens de lire. Un recueil qu’il présente comme des « Promenades » littéraires évoquant des lectures, l’écriture et les ateliers d’écriture qu’il anime. Cette connivence qu’il établit de facto entre lui et moi me flatte énormément car Daniel est un homme de grande culture et de grand talent littéraire, mais c’est aussi un homme plein de bon sens et de finesse qui sait faire la différence entre une pratique habituelle et une pratique créative, une pratique artistique. Cette connivence, je voudrais en être digne, ça je n’en suis pas certain mais je sais que je partage de nombreuses lectures avec lui et un certain nombre de points de vue sur l’écriture, la littérature et la lecture.

Dans les textes courts qu’il a rassemblés dans ce recueil qui respire comme un essai littéraire, avec quelques articles, un retour d’expérience sur un atelier d’écriture et une interview, il évoque son point de vue sur la littérature aujourd’hui en commençant par le début de la chaîne du livre : l’art d’écrire. Il souligne d’abord qu’écrire n’est pas forcément faire œuvre d’écrivain. Beaucoup écrivent et ne resteront que des « écrivants » sans jamais devenir des écrivains, sans jamais innover, créer, explorer le champ du langage, des idées, des perceptions, des sentiments, des émotions. Être écrivain c’est écrire autrement pour aller plus loin dans l’expression, élargir le champ des impressions, des sensations, démultiplier les idées…

Ecrire c’est aussi mettre à disposition du lecteur, éditer, diffuser, car sans lecteur le livre n’existe pas, il reste un écrit qui ne vit pas, n’est jamais interprété, commenté, critiqué. Il est condamné à rester un exemplaire unique comme lettre morte. Ce discours me ramène toujours à ce livre de Marcos Malaria, Tragaluz, dans lequel il prétend qu’un livre nouveau nait chaque fois qu’un nouveau lecteur le lit et je le pense moi aussi.

Comme il y a des « écrivants » et des écrivains, il y a aussi des « liseurs » et des lecteurs, lire ce n’est pas seulement suivre une suite de caractère qui raconte une histoire ou développe un raisonnement. Lire c’est aussi sonder entre les lignes ce que l’auteur suggère sans l’écrire, ce qu’il ressent quand il écrit, ce qu’il ne peut pas dire, ce qu’il ne veut pas dire, …, la part qu’il laisse au lecteur pour compléter son propos. J’aime cette approche de la littérature dans laquelle l’écrivain et le lecteur deviennent complices pour faire vivre un texte, pour lui donner une autre dimension, pour faire créer une autre version, pour aller plus loin… ailleurs.

Mais pour que l’auteur et le lecteur se rencontrent, il faut un certain consensus à propos du langage, dans ses textes et articles, Daniel Simon évoque largement se sujet et regrette, comme moi, que les marchands essaient d’imposer un langage commun minimum de façon à rassembler tout le monde autour des mêmes gondoles avec un seul message commercial. Alors que la diversité est la richesse du langage, elle apporte des variantes, des nuances, des couleurs, … qui permettent de formuler des différences, d’éviter la monotonie, de ne pas rassembler tous les individus dans le même panier pour les traiter de la même façon, même si certaines différences s’imposent dans et hors les exceptions. Ce débat sur la langue me rappelle cette phrase de Paul Valéry que j’ai cité il y a peu : « Il y a une foule de mots français qui ont disparu dans l’espace d’une génération à peu près, des mots précis, d’origine populaire, généralement très jolis ; ils s’effacent devant la mauvaise abstraction, devant les termes techniques qui envahissent notre langue ». Rien n’a changé, bien au contraire !

Voilà ma façon de faire vivre ce texte en le traitant comme un essai sur la littérature qui voudrait dire que même si, aujourd’hui, tout le monde, ou presque, peut écrire et même éditer, à condition d’avoir quelque argent, tout le monde n’est pas écrivain. Il veut dire aussi que lecteur et écrivain sont main dans la main pour faire vivre la littérature et le langage. Le lecteur n’a que les auteurs qu’il mérite de même que l’écrivain n’a que les lecteurs qu’il mérite. Et, nous tous ensemble nous avons le langage que nous pratiquons !