Romans et récits I, II de Romain Gary

Romans et récits I, II de Romain Gary

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Veneziano, le 3 janvier 2020 (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans)
La note : 9 étoiles
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L'anthologie d'un auteur important

A près de quarante ans après sa mort, la Pléiade sort une anthologie, en deux tomes, de ses romans et récits, alors que Romain Gary a été et demeure un écrivain important du XXe siècle, sous sa propre plume ou sous le pseudonyme d'Emile Ajar, ce qui lui a valu deux Goncourt. Il s'en explique dans Vie et mort d'Emile Ajar.
Ce recueil m'a permis de découvrir une série d'oeuvres de lui que je n'avais pas encore lues, et que je viens de critiquer dans une de mes séries. Je vous livre donc une compilation de mes critiques, présentées ici.



1er tome
L’Education européenne, critiquée le 28 août 2010 ****
Ce livre prend la forme d'une démonstration narrative réaliste, pour montrer combien la guerre est atroce et sale, comme vient fort bien de le résumer Jules, une fois de plus.
Ce roman est également relatif à la genèse de l'héroïsme ; et la scène de l'assassinat du jeune soldat allemand par le personnage principal est, en effet, aussi poignante qu'impressionnante.
L'épilogue évoque l'idée contenue dans le titre, et j'aurais bien aimé qu'elle fût traitée, notamment après de tels développements. Le rapprochement des peuples européens : c'est au moins la thèse de ce livre, que j'approuve.


Les Racines du ciel, critiquées le 23 septembre 2006 ; 4,5/5
Ce roman réconforte. Il est dense et fort, il rassure autant qu'il déboussole par tout ce qu'il décrit de dur. Beaucoup de grands sujets passent : la préservation de la nature évidemment, le pardon, le colonialisme, l'après-guerre, le nucléaire. Ouh, que c'est riche ! C'en est étourdissant, tant c'est enrichissant ! C'est bien de la grande littérature. Il y a peut-être un léger bémol à y présenter, peut-être parfois quelques longueurs et une foule de personnages qui se bousculent, ce qui a rendu ma lecture parfois un peu malaisée, mais ce qui au moins autant une critique de moi-même - par des fautes d'attention quelquefois, je le confesse - que de l'auteur.
J'aime beaucoup son style.
Il vaut bien le Prix Goncourt.


La Promesse de l’aube, critiquée le 10 septembre 2006 ; 4,5/5
Le recul et l'affection mêlés face à cette mère envahissante sont touchants, et il sait lui rendre l'amour qu'elle lui porte. Et il a réussi à se forger un destin de ses prédictions grandiloquentes qui auraient pu en effrayer plus d'un. Tout cela prouve déjà sa force de caractère. Et il lui a été dur de trouver une femme qui l'aime autant, et il a compris dès le départ cette difficulté qu'il aurait, que lui a rappelé l'un de soupirants de sa mère.
Ceci est corroboré par la troisième partie sur la guerre et la résistance.
Le style est sobre et efficace, le ton toujours juste, réaliste et un brin humoristique, jamais larmoyant, ce qui eût été insupportable.
J'ai passé de bons moments, notamment dans le train, avec.
Commencé à Nantes le 31 août, fini de lire ce matin-même à Paris.


Lady L. critiquée le 26 décembre 2019 ; 4,5/5
Lady L., aristocrate anglaise respectée, fête en grande pompe ses quatre-vingts ans, amusée d'un tel hommage, qui semble tenir pour elle de la parade orchestrée, mais se contente de faire bonne figure mondaine. Sir Percy Rodiner, écrivain reconnu et lauréat d'un prix littéraire de renom, fait état à l'honorable douairière de son admiration pour elle, au point qu'il souhaite établir sa biographie. Elle le prévient qu'il lui faudra beaucoup de temps et de patience. Il y est prêt et se soumet de bonne grâce à ces conditions qu'il attendait peu ou prou.
Or, il ne pouvait pas prévoir la teneur de l'existence qui lui serait divulguée, car notre chère hôtesse a connu une vie mouvementée. Elle a appartenu aux cercles anarchistes, philosophiquement et politiquement, avec la dose de subversion qui en a découlé, elle est tombée follement amoureuse, parfois à ses dépends et s'est révoltée contre le sort des femmes. L'alcool, la drogue, les excès ne lui ont jamais fait peur, mais la mollesse et l'idéalisme l'exaspèrent. La grande dame du monde doit donc son statut à la dissimulation d'un passé subversif, avoisinant çà et là l'indignité.
L'auteur se serait inspiré de l'épouse avec qui il a convolé juste après-guerre, avec Jean Seberg.
Le ton ironique, le propos burlesque, l'aspect décalé de l'intrigue façonnent un récit truculent et quasi-désopilant, sous le regard hagard et presque terrifié de l'interlocuteur de la protagoniste. La rencontre de ces mondes opposés constitue certes un recette bien classique mais est appliquée avec autant de soins que de sarcasme, pour établir une histoire pleine de drôlerie. J'ai beaucoup aimé.



2nd tome
Adieu, Gary Cooper, critiqué le 29 décembre 2019 ****
Lenny, grand Américain blond à la tête avenante mais archi-solitaire, s'est installé en Suisse alémanique pour profiter de l'escalade et du ski. Il préfère les étrangers dont il ne parle pas la langue, afin de conserver sa sacro-sainte paix. La lectrice et le lecteur apprennent vite qu'il fuit son pays pour éviter d'être enrôlé dans la guerre du Vietnam, ce qui explique d'autant mieux qu'il n'aime pas les questions qui peuvent vite s'avérer gênantes.
Pour ainsi dire, il se désengage de tout, de tout engagement et de presque tout rapport humain. Ce roman très politique montre le poids potentiel des guerres injustes sur l'existence des ressortissants nationaux concernés, leur caractère éventuellement désocialisant. L'auteur décide d'en montrer un exemple extrême, afin de raisonner par l'absurde et d'inviter à réfléchir sur l'engagement, sur le sens du civisme, sur le lien à son propre Etat. Il y va fort, mais c'est intéressant.

Chien blanc, critiqué le 29 décembre 2019 ; 4,5/5
Romain Gary prend effectivement un étrange prétexte pour évoquer un problème politico-social profond qui agite les Etats unis des années 1960, où il exerce des fonctions diplomatiques, en tant que consul de France à Los Angeles. Il adopte un chien abandonné qui s'avère être raciste. Il tente de le faire dresser, mais son âge ne permet pas un nouveau conditionnement, ce qui place son maître de hasard dans une situation très inconfortable, surtout la première fois où il constate ce fâcheux travers, dont est victime le pisciniste venu faire des contrôles dans la villa de l'écrivain.
Cela invite ce dernier à une étude politico-sociale poussée sur l'intégration progressive des Noirs, les suites de l'abandon de l'esclavage, les débats sur la discrimination positive et l'intervention au Vietnam en arrière-fond. Il est tenté de faire un parallèle avec la considération des Juifs en France, sujet qui le taraude inévitablement. Aussi son pays se retrouve-t-il agité par la grève étudiante, au sein de laquelle il est pris à partie par la jeunesse pour son rapprochement avec André Malraux, chez qui il accepte de bonne grâce de noter certaines contradictions entre l'écrivain et le politique.
Ces détours servent à ouvrir un débat sur les questionnements identitaires des Etats, sur la place des minorités, sur le fondement de leur système démocratique, leur acceptation de l'égalité, comme du changement. Il s'ensuit un ouvrage étonnamment construit qui pose des interrogations essentielles de philosophie politique, de philosophie du droit et d'histoire contemporaine. Il me paraît donc important.


Les Enchanteurs, critiqué le 31 décembre 2019 ; 4,5/5
Fosco Larga, bicentenaire, narre son histoire surréaliste : il ne peut pas mourir tant qu'il continue à aimer, ce qui représente une belle hypothèse de départ, romantique à souhait, qui revisite un tantinet le mythe du Juif errant, ce qui est avoué à demi-mot et ce qui est confirmé par les thèmes récurrents de l'auteur. Son père, Giuseppe, artiste et artisan, concevait des inventions féériques pour les grands de ce monde, ce qui les a mené à la cour de Catherine II qui a apprécié leur compagnie, et à Venise où ils se sont installés, comme à Prague, soit toujours dans de fort beaux lieux, lourdement chargés d'histoire. Aussi, Fosco - qui signifie "sombre" en italien, tombe-t-il amoureux de la compagne de son père, Teresina, son aînée de seulement deux ans.
Par ce conte, l'auteur se laisse voguer à son imagination, fort riche, et dont l'univers de représentation est richement marquée par la beauté du monde et de son histoire. La narration est enjouée et ne manque pas de rebondissements divers, ce qui rend le récit d'autant plus fantastique et enjoué. Il (me) paraît ainsi très agréable, surtout en cette période de fêtes de fin d'année.


Gros-Câlin (« Emile Ajar »), critiqué le 1er janvier 2020 ****
Un Français revu des Etats unis souffre de deux mots, un surplus américain, qui lui confère du mal à se reconditionner et une originalité à tout crin, et une forte solitude. Il s'ensuit qu'il en vient à adopter un python venu de Guyane, au sein duquel il se plaît à se lover et pour qui il rencontre des difficultés d'entretien pour son alimentation, car il rechigne à faire englober vivants les rongeurs dont il a besoin. Outre une scène mémorable d'évasion de l'animal qui l'emmène au commissariat, ce roman décrit les avatars d'une époque et d'une mégapole de dix millions d'habitants, avec les difficultés portée sur les différences.
Si ce roman met souvent le sourire aux lèvres, il fait également réfléchir.


La Vie devant soi (« Emile Ajar », lue en juillet 2001, critiquée le 23 mai 2005 ****
Ce roman nous offre une belle leçon de tolérance et d'humanisme. Dieudonné, ce serait bien que tu le médites...


Pseudo (« Emile Ajar »), critiqué le 1er janvier 2020 ***
Un écrivain réussit à publier, malgré un état de santé psychique défaillant, au point d'être interné, et même au Danemark, le docteur Christiansen veillant durement aux évolutions de son équilibre. Sans père, ayant des relations contrariées avec son oncle, l'auteur est atteint d'une sorte de paranoïa mais bénéficie d'une grande culture et d'une belle imagination.
Ce roman inspiré de la vie du véritable auteur évoque les tourments et combats personnels pour un peu d'honneur et un bon traitement, avec des phases très rudes et des embellies profitables. Passablement désagréable, il présente le mérite de faire réfléchir au processus créatif, mais dans ce qu'il y a de pire.


Clair de femme, critiqué le 21 avril 2018 ****
Un mari sous le choc de la perte de sa femme et une femme accompagnant un époux handicapé à l'origine de l'accident mortel de leur fille se percutent, se rencontrent, se retrouvent et finissent par s'estimer. Se pose ainsi inévitablement la question de la résilience, de la faculté de rebondir en amour. L'arrière-fond des spectacles, animaliers mais pas seulement, interroge sur les obligations sociales en la matière, qui tiennent de la comédie, de la lourdeur et qui contiennent un aspect décalé, parfois de mauvais goût.
Ces deux êtres se cherchent, de leur côté et ensemble.
Ce roman pose donc de belles interrogations, de manière assez sombre, parfois glauque, souvent belle.


Les Cerfs-volants, critiqués le 3 janvier 2020 ; 4,5/5
Ludovic est le neveu d'un facteur un peu timbré et poète de Normandie qui fabrique des cerfs-volants. La poésie des créations de son tuteur, car il a perdu ses parents, lui plaît, comme il amoureux de Lila. Puis la guerre éclate et il se positionne dans la Résistance. Cette posture ne l'empêche pas de renoncer aux cerfs-volants et à l'amour, resté platonique, pour Lila. Les choses se compliquent inévitablement, les Allemands finissant par se méfier de lui, surtout à l'approche du débarquement, mais il tient tant à ses combats qu'à ses rêves.
Chaque élément constituant son sujet reste assez banal et pourrait paraître anodin, mais leur combinaison (me) charme et soutient une thèse fort belle, à mon sens : l'espoir romantique existe et la croyance en la poésie du monde également, ces deux valeurs devant être défendues. Certes l'auteur a-t-il été marqué par cette période, où il s'est illustré, des airs de déjà-vu, une posture glorieuse aisément arborée via ces thèmes affleurent aussi ça et là, mais l'illustration de ces principes par des chemins déjà balisés ne réduit pas la beauté du message général.


Vie et mort d’Emile Ajar, critiqué le 3 janvier 2020 ****
En fin de parcours, peu avant de se suicider, comme en guise de testament littéraire, Romain Gary se livre à une explication de la création du pseudonyme d'Emile Ajar sous lequel il a rédigé une partie de son oeuvre. Etonné de la dupe des critiques qui n'ont pas vu la proximité des thématiques et du style, il s'amuse de la préférence donnée à Ajar plutôt qu'à lui. Ce masque soudain eût été fortuit au départ, puis savamment alimenté.
Cette comédie littéraire mérite un détour et le temps de s'y arrêter, cette explication vient donc ici pour cela.
Elle se termine par cette formule très ironique, en deux phrases sibyllines : "Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. ROMAIN GARY 21 mars 1979". Cela détient un double sens : il s'agit d'une sarcastique révérence littéraire, où il s'amuse de son pied-de-nez, et d'un adieu à la vie, qu'il décide de quitter. Ce n'est pas qu'anecdotique et vaut critique ironique d'un système.

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