Le nouveau Jihad en Occident
de Farhad Khosrokhavar

critiqué par Colen8, le 21 janvier 2020
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Homo islamicus
La défaite militaire de Daesh en 2017 n’a fait disparaître ni la menace du terrorisme islamiste sur quelque territoire que ce soit, ni le besoin d’en comprendre les raisons, les ramifications, et les moyens nécessaires à combattre ses manifestations sous d’autres formes. Présent en Australie sous la houlette des immigrés Libanais, au Royaume-Uni sous celle principalement des Pakistanais et Bangladais, en Belgique sous celle des Marocains originaires du Rif, mais aussi en France, Allemagne, Suisse, Pays-Bas, Espagne, Etats-Unis, Scandinavie, le phénomène jihadiste est resté mal compris. Davantage ciblée que d’autres pays(1), la France se voit reprocher ses interventions militaires au Sahel ainsi que sa rigueur en matière de laïcité républicaine. Mais il ne suffit pas d’afficher la liberté d’opinion dans les démocraties multiculturelles pour se voir épargner.
Si l’on devait ne conserver qu’un seul terme pour qualifier les quelque 5000 habitants ou résidents occidentaux, familles avec enfants, hommes, femmes, adolescent(e)s, qui ont souhaité rejoindre Daesh sur place ou faire allégeance aux structures islamistes radicales en opérant dans leurs pays respectifs, ce serait « fragilité » déclinée de multiples façons :
- celle des croyances, nombre d’entre eux étant des convertis récents pourvus d’un vernis superficiel de l’islam ou des musulmans à la base peu pratiquants
- l’insécurité affective due à l’éclatement des familles, souvent monoparentales ou recomposées, l’absence ou la déconsidération du père, l’expérience de la violence intrafamiliale
- la fragilité mentale parfois diagnostiquée en dépression, en schizophrénie ou ayant nécessité une hospitalisation psychiatrique
- la faiblesse intellectuelle des jeunes déscolarisés précocement allant de pair avec le chômage
- la pauvreté des familles ouvrant la voie à la délinquance des enfants, à la case prison qui précède le revirement religieux et entretient l’espoir de rédemption par le martyre
- l’ostracisme social, la relégation dans des banlieues ghettoïsées, la discrimination subie, le sentiment d’humiliation, un avenir sans espoir de s’en sortir par le haut
- l’identité mal définie des immigrés de deuxième générations (ni d’ici-ni de là-bas) en mal d’intégration dans leurs pays de résidence assimilés aux colonisateurs de leurs ancêtres.
Ce ne sont là qu’une partie des causes de radicalisation, la propagande y joue aussi son rôle par :
- le biais des réseaux sociaux dans leurs versions publiques, cryptées et dans le darknet,
- l’action des recruteurs et des prêcheurs radicaux faisant aussi l’apologie des nébuleuses d’Al-Qaïda,
- certaines institutions dont les radicalisés en quête d’une forme plus stricte d’encadrement et d’autorité ont été exclus.
Ensemble celles-ci colonisent les cerveaux pour aboutir à désinhiber des êtres jusqu’à en faire des monstres barbares habités par la haine ayant perdu toute faculté d’empathie. Un tel récapitulatif du jihad exporté en Occident est le fruit d’un travail de longue haleine. En sociologue qu’il est Farhad Khosrokhavar développe un par un les facteurs conjugués à prendre en compte pour ne pas se laisser entraîner dans le piège du manichéisme contre-productif, vite dénoncé comme islamophobie. Le phénomène est d’autant plus complexe qu’il heurte frontalement les valeurs occidentales construites au fil des siècles sur la liberté, la tolérance, le rejet de la violence et de la cruauté au profit du droit et de l’équilibre des pouvoirs des régimes démocratiques. A moins qu’il ne soit le volet pervers d’un monde perçu comme désenchanté par ceux qui souffrent de sa perte de sens.
(1) 23 actes recensés en France entre 2012 et 2017, une soixantaine ailleurs en Occident entre 2001 et 2017.