Une pièce "répugante"...

Écrite en 1924, La mère de Witkiewicz est une pièce peu connue du public puisqu’elle ne fut jouée qu’à deux reprises connues, soit à Cracovie en 1964 et à la télévision française en 1968. Il est vrai qu’elle offrait un style peut-être trop avant-gardiste pour cet entre-deux guerre. Après tout, on y traite de drogue et de mort, des sujets que l’on abordait peu en public. Fidèle à son style, Witkiewicz utilise l’humour noir pour faire passer un message, une philosophie personnelle à travers des personnages délurés. On assiste ainsi à la naissance de l’absurde, mais dans un style unique à ce dernier. La mère est en fait une représentation du côté noir de la société polonaise de l’époque. Il est aussi question des relations filiales et du sentiment d’accomplissement personnel d’un mère alcoolique par rapport à son fils. Tout cela dans un contexte plus ou moins défini qui démontre l’universalité de cette œuvre.

La mère, Nina Cobraska, est le personnage principal de la pièce. Veuve d’une cinquantaine d’année, elle est grande, osseuse et ses cheveux arborent déjà le gris. Seule les didascalies font référence au physique de la mère, probablement pour que le rôle de celle-ci soit plus universel. La mère est un être tourmenté par son passé. Son mari, qu’elle adorait, est mort au Brésil dans tes circonstances atroces. Le souvenir de celui-ci ainsi que sa ressemblance avec son fils Léon la trouble énormément. Elle ne peut voir la vérité de la réalité, car elle ne sait comment se comporter avec le dit Léon. L’image de son fils, ce qu’il devient, la torture. Elle est très troublée devant cet être qu’elle admire et qu’elle déteste à la fois.

La mère a beaucoup de difficultés à approuver ce qu’elle a fait dans le passé. Elle croit avoir commis trop d’erreurs avec Léon et que c’est pour cette raison que celui-ci est quelque peu déséquilibré. À présent, elle veut corriger ses erreurs du passé en le faisant vivre, mais elle ne fait qu’aggraver sa situation. Elle est très soumise à son fils et n’ose rien ne lui refuser comme elle le dit ici où elle tente de trouver une raison à sa mauvaise capacité de communiquer avec son fils :
Enfin ne voyez-vous pas, [...] que je sue sang et eau, que je me tue à la tâche, pendant que le jeune monsieur s’isole toujours davantage dans sa tour d’ivoire. Il est si loin de moi, il plane dans des sphères tellement supérieures que je ne peux même pas lui faire comprendre que je n’en peux plus.

La mère est née baronne de La Porchery. On devine ainsi une certaine bourgeoisie, mais le fait qu’elle se soit mariée avec un malfrat laisse présager qu’elle a peut-être été exclue de sa famille ce qui accroît sa solitude. Elle se dit vulgaire, mais c’est en fait qu’elle a honte d’elle-même, du «faux» statut dont elle est affublée.

À l’entrée en scène, la mère est saoule. Elle entre alors dans une rêverie où elle pense tout haut à toute sortes de pensées libératrices où elle s’avoue à elle-même ce qu’elle pense vraiment de sa vie et de celle de son fils. La pièce commence donc sur une note dramatique où la mère est à la limite de la folie. Tout au long de cette pièce "répugnante" on assiste à la déchéance de notre société, la société mondiale qui existe depuis toujours.

Avant même la naissance de l'absurde, on avait pu assister à une percée un renouveau artistique magistral avec Witkiewicz. Un auteur tourmenté par lui même, mais oh combien talentueux.

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  La Mère [Texte imprimé], pièce répugnante en 2 actes et un épilogue Stanisław Ignacy Witkiewicz adapt. du polonais par Koukou Chanska et François Marié

  de Witkiewicz, Stanisław Ignacy
  Gallimard / Le Manteau d'Arlequin
  ISBN : 9782070714841 ; 8,50 € ; 29/07/1988 ; 80 p. ; Broché

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