En quête d'Azalée
de Jacques Pimpaneau

critiqué par Débézed, le 6 février 2020
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Une artiste libre
Après avoir donné vie à une courtisane au IX° siècle et à un saltimbanque au XVI°, Jacques Pimpaneau, dans ce nouveau roman, raconte un autre personnage de la Chine médiévale en la personne d’Azalée, une talentueuse et bien singulière artiste peintre. Selon ce texte, elle aurait vécu au XI° siècle mais, comme tous les personnages de Pimpaneau, on ne sait si elle est réelle ou virtuelle. De toute façon cela n’a aucune importance, il y a très peu de différence entre une artiste peintre dont on ne connait presque rien et une artiste peintre inventée par un historien connaissant très bien le milieu dans lequel elle vit. Dans son préambule l’auteur tient à préciser que : « ce livre résulte d’une enquête menée par un lettré sur une femme peintre chinoise se prénommant Azalée qui vécut dans la seconde moitié du XI° siècle… on ne sait rien sur l’auteur... ». J’ai donc suivi les chemin indiqué par Pimpaneau pour découvrir ce personnage d’autant plus énigmatique qu’elle serait la seule femme peintre de cette époque en Chine.

Pour raconter cette femme si particulière, Pimpaneau a eu accès au texte écrit par l’inconnu qui a rencontré les personnes les plus proches de l’artiste : sa servante qui n’était pas que sa servante, le médecin qui lui a annoncé sa mort prochaine, l’antiquaire qui vendait ses tableaux, le chef des mendiants qui admirait son œuvre et d’autre personnes encore qu’elle a rencontrées dans le cadre de ses activités picturales ou lors des voyages qu’elle a faits. Ces témoignages et les quelques notes laissées par Azalée elle-même, dessinent un portrait sensuel et émouvant de cette artiste, décrivent la Chine de cette époque et montrent la place que l’art et notamment la peinture y occupaient.

On découvre ainsi les techniques picturales, les sujets reproduits, les sources d’inspiration, les pratiques d’encadrement et le marché de l’art en Chine à cette époque. Azalée aurait marquée l’auteur du document non seulement parce qu’elle était une femme mais surtout parce qu’elle était une femme libre et affranchie de toutes contingences. C’était une féministe avant l’heure, elle avait une sexualité très libre dégagée des considérations liées à la reproduction, consacrée seulement au plaisir, elle refusait le mariage qui enferme, Elle se méfiait beaucoup de la religion, du pouvoir et de l’administration. Elle était attirée par la spiritualité mais se plaignait que les hommes détournent trop souvent les religions pour les mettre au service de leurs ambitions. Le pouvoir et l’administration n’étaient que sources de contraintes surtout pour les artistes. Elle refusait toutes les cases et classifications dans lesquelles on cherchait déjà à enfermer les artistes.

Avec ce livre Jacques Pimpaneau ne dresse pas seulement le portrait d’une artiste peintre libre, généreuse, conviviale, inventive, créatrice, novatrice, ayant des idées sur tout et n’hésitant jamais à les exposer. Il va plus loin que la description de la vie des artistes et de ceux qui les entouraient en Chine au XI° siècle, Il déplore que les problèmes de fond préoccupant les Chinois à cette époque ne soient aujourd’hui toujours pas résolus. Les gouvernants et les gestionnaires se comportent toujours comme des privilégiés abusant de leur pouvoir pour engraisser leur fortune et assurer leur emprise sur ceux qu’ils devraient simplement gouverner et administrer honnêtement et efficacement ; la religion sert encore trop souvent à manipuler les foules sans souci de la moindre spiritualité ; les femmes doivent toujours revendiquer la place qui devrait être la leur dans la société ; les tabous sexuels pèsent toujours aussi lourdement dans les relations entre les individus ; l’art est encore trop souvent considéré comme une marchandise ; … Après avoir lu ce texte, on a le sentiment qu’en un millénaire le monde semble n’avoir pas beaucoup changé, la technologie à certes considérablement modifié notre mode de vie mais les mentalités et les mœurs semblent n’avoir pas beaucoup évolué. Tout change de plus en plus vite mais tout reste figé, Azalée pourrait revenir dans notre monde et tenir le même discours :

« … il existe trois sortes de personnes ayant chacune leur mentalité : les gens comme moi, artisans ou paysans, les penseurs les rêveurs, les artistes, les poètes, les marginaux et les marchands, les fonctionnaires. Les deux premières catégories ont des façons de penser différentes, mais ne se comprennent pas, s’estiment mutuellement, malgré la distance qui les sépare. Par contre, toutes les deux détestent et méprisent ceux qui pensent comme des marchands ou des fonctionnaire ».