ROMAN AUTOBIOGRAPHIQUE.

En janvier 1981, l’auteur apprend avec une relative indifférence la mort de sa mère de la maladie de Parkinson. S’il refuse d’aller la voir et d’aller à son enterrement, il évoque sa mémoire sur un ton dénué de tout sentimentalisme.

Ses souvenirs vont vers la période 1944-1945 quand de quatre à six ans, avec sa grand-mère, sa mère et sa sœur, il est interné dans le camp de Tjideng, à Batavia (aujourd’hui Djakarta), par les troupes japonaises qui occupent alors les Indes Néerlandaises (aujourd’hui l’Indonésie). Ce camp qui n’héberge que des femmes et les jeunes garçons de moins de 10 ans, est dirigé par le cruel et sadique commandant Kenitji Sone (qui sera d’ailleurs fusillé en 1946 pour crimes de guerre).

Des souvenirs terribles lui reviennent alors en mémoire. Les privations, le manque de nourriture, la violence, la souffrance, les punitions, les brimades, les viols, les humiliations… L’auteur très jeune et naïf à cette époque ne se rend pas réellement compte de ce qu’il voit et vit vraiment tous les jours. Ainsi pour lui, p.ex. les japonais ont de beaux uniformes et leur drapeau est beau. Aujourd’hui à l’aube de la quarantaine et devenu récemment lui-même père, il s’en veut terriblement et regrette d’avoir trouvé ses geôliers drôles, d’avoir tant ri et tant joué dans le camp, alors que des personnes (dont sa grand-mère) y mouraient tous les jours…

Si le livre ne fait même pas deux cent pages et se lit en quelques heures, son contenu, lui, est impressionnant. Dans un livre à l’écriture très facile à appréhender, mais très «dur», très incisif et très heurté, sont abordés deux thèmes très complexes. En effet l’auteur règle ici «ses comptes» avec les camps de concentration japonais et avec le rapport mère/fils.

C’est avant tout une biographie, mais beaucoup d’émotions traversent tout le récit. On comprend très vite qu’à l’instar de nombreux auteurs rescapés des camps, qu’il est resté traumatisé à vie par ce qu’il a vécu. C’est ce qui explique sa relative indifférence, son impassibilité envers sa propre vie et surtout la relation complexe qu’il a envers sa mère. Il ne veut en effet garder que l’image souriante et pleine de courage de sa mère, celle qu’il a connue dans le camp de concentration, et refuse de la voir vieillir et être diminuée par la maladie. Il ne veut pas voir son amour pour elle, et sa beauté qu'il chérit tant être ravagés ou abîmés. Pour lui, elle reste à vie celle qui a sauvé toute sa famille des camps de concentration japonais…

Le 11 mai dernier s’éteignait dans l’indifférence la plus totale, l’un des écrivains les plus singuliers et authentiques des Pays-Bas. Je veux bien sûr parler ici, - on l’aura compris -, de Jeroen BROUWERS (1940 – 2022, prononcez Jeroun en néerlandais).
Malheureusement, trop peu lu et surtout très (trop) peu traduit en français («Bezonken Rood» a été publié originellement en 1981, n’a été traduit en français «Rouge décanté», qu’en…1995!..), - et ce, malgré le fait que ce livre est un des trois volets de sa biographie, et malgré le fait qu’il avait vécu une grande partie de sa vie en Belgique -, c’est pourtant l’un des écrivains majeurs des Pays-Bas. Je ne peux donc que conseiller au plus grand nombre d’entre vous de partir à la découverte de cet écrivain…

Je termine vraiment sous le charme, ce livre alterne de façon incroyable, des chapitres d’une «dureté» et d'une violence vraiment insoutenable, avec des chapitres qui ont la beauté d’une magnifique poésie. Que demander de plus à ce livre? Peut-être lui souhaiter enfin de rencontrer ses lecteurs?..

Le livre «Rouge décanté» a été lauréat du Prix Fémina étranger en 1995.

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  Rouge décanté

  de Brouwers, Jeroen Grilli, Patrick (Traducteur)
  Gallimard / Du monde entier
  ISBN : 9782070731183 ; EUR 13,15 ; 30/09/1995 ; 152 p. ; Broché

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  Rouge décanté

  de Brouwers, Jeroen Grilli, Patrick (Traducteur)
  Gallimard / Folio
  ISBN : 9782070402007 ; EUR 6,90 ; 03/06/1997 ; 176 p. ; Poche

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