Terres rares
de Sandro Veronesi

critiqué par Bluewitch, le 8 mars 2020
(Charleroi - 45 ans)


La note:  étoiles
Chaos exalté
10 ans après « Chaos calme », nous retrouvons Pietro Paladini. Dans ce premier épisode, il attendait chaque jour sa fille sur un banc, comme il le lui avait promis suite à la mort de son épouse. Deuil étrangement traversé, dans l’introspection et l’écoute des autres.

Dans « Terres rares », Paladini a quitté Milan pour Rome et travaille pour une entreprise de leasing. Le roman débute avec sa mission de récupération d’un véhicule pour non paiement de mensualités. Et à partir de là, sa petite vie reconstruite en surface se disloque à nouveau. La cliente se joue de lui, il commet une effraction routière qui lui vaut un retrait de permis, perd son téléphone portable et s’aperçoit, à son retour au bureau, que la police a saisi tout le matériel et les papiers, que la secrétaire est en pleurs et son patron disparu.

Egaré, irrationnel, paradoxal, ironique, impulsif, sensible et parfois stupide, le comportement de Paladini l’entraine une cavale aux allures parfois incohérentes mais, on l’espère, suffisamment initiatique. Sa compagne le quitte, sa fille fugue chez sa tante, le dialogue est absent ou forcé et Paladini se perd en lui-même comme dans ses tentatives de reprendre le contrôle de sa vie. Floué par son associé, dindon de la farce fuyant des délits dont il est innocent mais qui mettent en lumière sa tendance à ne pas vouloir regarder au-delà de la surface dans toutes les sphères de sa vie, Pietro revient sur les aiguillages majeurs de son existence et tente comme il peut de modifier la trajectoire…

Moins statique que « Chaos calme », « Terres rares » offre un Paladini moins attachant, plus maladroit, plus égocentré. Pourtant, Veronesi parvient encore une fois à ouvrir un espace de tendresse et de sensibilité tant dans les images que dans les mots, ce qui pousse à suivre l’évolution du récit avec intérêt et observer la transformation, l’alchimie opérer sur ce personnage comme dans un laboratoire de la vie.

« Ainsi, lui ai-je dit, on part d'un être solitaire, qui en soi est assez commun, pour obtenir une matière rare et difficile à atteindre. Pour obtenir cette matière rare, l'être solitaire est détruit, car les procédés d'extraction des terres rares comportent l'élimination de toutes les autres composantes au moyen d'acides ou d'autres substances très agressives. Donc, quand on arrive à récupérer la matière difficile à atteindre, l'être solitaire n'existe plus. Et c'est à peu près ce qu'il se passe, lui ai-je dit, quand les gens traversent une expérience qui rend leur vie unique, comme l'amour, l'art, la thérapie ou, j'imagine, la foi. »

Et notre agacement de fondre face à l’humilité en germe qui force son passage dans le cœur d’un homme qui, comme nombreux humains, fait de son mieux pour traverser, dans les contrastes et les nuances, les gares tragiques de son histoire.