La simple perfection.

"La part manquante" est un recueil de onze nouvelles courtes ciselant en quelques pages, avec le génie facile propre à Bobin, personnages et émotions des plus simples aux plus complexes. Une mère, un enfant, Marguerite Porète (qu'il ne nomme pas), l'absolu, une lecture, un homme d'affaires, la jalousie, la musique, l'écrivain (thème cher), etc.
Bobin atteint au sublime dans nombre de ces nouvelles. Un sublime évident, incroyable. Savoir que des hommes peuvent transmettre autant de richesse avec si peu de mots est à la fois encourageant et intimidant. Encourageant parce que Bobin est un phare de l'intelligence, et intimidant parce qu'il inspire une grand respect.
La poésie de Bobin, ici comme dans ses autres livres, est accessible. Ses images sont claires, sans effet de manche inutile. Le talent n'a pas besoin d'esbroufe. Bobin est un artiste en éveil. Il nous parle du concret comme de l'insaisissable, avec le même ton, comme si tout était évident. "La part manquante", en cela différent d'autres de ses livres, comme "Geai", saisit des instantanés, même si ces instantanés se réfèrent à une vie entière, comme dans "Celui qui ne dort jamais", la cinquième des nouvelles, un chef d'oeuvre éblouissant de lucidité. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer quelques lignes de ce portrait d'un homme qui évolue dans les affaires (pas totalement homme d'affaires, rien n'est jamais au premier degré avec Bobin).
« Il est dans la force de son âge. Il sera dans tout âge ainsi, dans la force du vide. Ce n'est pas ce qu'on appelle un personnage : il ne tient pas de rôle, ne tenant pas en place. Il fait de sa vie une oeuvre éphémère, sans archives et sans restes. C'est une vie en voie de disparition, en cours d'effacement. C'est un homme sans visage. Un modèle plus rapide que le peintre, que le pinceau sur la toile. »
Le style de Bobin présente quelques particularités qui, sans être uniques dans l'histoire de l'écriture, sans doute, confèrent au texte un rythme très souple.
Dialogues et interrogations ne sont souvent pas ponctués, mais plutôt intégrés dans la narration, donnant au style un certain retrait, et une grande fluidité.
« Il a des vêtements simples comme quand on reste chez soi, comme quand plus personne n'est là pour dire à l'enfant de soigner son image, de faire briller son nom. Mais enfin tu ne vas pas sortir comme ça. Il est donc venu comme ça de son enfance, jusqu'à ce soir. »
Une autre particularité est l'usage d'une forme bien connue des musiciens sous le nom de forme cyclique, chère à César Franck. Il définit une idée par circonvolutions, l'exprimant d'abord dans toute sa simplicité, pour ensuite la développer (« Vous ne faites rien. Vous ne pouvez rien faire, n'étant rien. »), la raffiner (« On regarde ce qui l'entoure. On regarde ce qu'il traverse et qu'il éclaire de son passage ») ou la contredire (« Un mort c'est comme personne. Un mort c'est comme tout le monde »). Thème et variations.

Chaque livre de Bobin est un enchantement. La même chose, toujours différemment. Un même paysage, à toutes les saisons, sous d'autres éclairages, peuplé d'hôtes différents.
Bobin, malgré l'exceptionnelle fluidité de son discours, ne peut être qualifié d'auteur facile, "La part manquante" sera de préférence lu quelques pages à la fois, et conservé dans sa bibliothèque, pour y revenir souvent, et découvrir que le texte a changé comme le lecteur change.

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  La part manquante [Texte imprimé] Christian Bobin

  de Bobin, Christian
  Gallimard / Collection Folio.
  ISBN : 9782070388424 ; 5,00 € ; 03/02/1994 ; 98 p. ; Poche

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