Protection Rapprochee de Lorenzo Cecchi
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Nouvelles
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La vie au Pays noir
Avec ce recueil de nouvelles, Lorenzo Cecchi raconte son pays, le Pays Noir comme le charbon que ces ancêtres italiens, avec une cohorte de compatriotes, sont venus extraire du sous-sol de ce bout de Belgique. Ce minerai noir qui fit si longtemps la fortune de cette région avant que le filons se tarissent et que d’autres énergies plus riches, plus faciles à exploiter, plus rentables ne renvoient le charbon au fond de ses puits. Lorenzo évoque cette région après la fermeture des puits et de nombreuses usines, l’évaporation de la richesse, l’appauvrissement des populations surtout de ceux qui ont perdu leur travail au fond de la mine où dans les usines métallurgiques.
Il raconte, notamment, dans la nouvelle éponyme occupant près de la moitié du recueil, mais aussi dans de courtes nouvelles comme des petites tableaux, cette jeunesse qui ne cherche même plus de travail, de toute façon il n’y en a pas, s’ennuie, traîne dans les bars, s’alcoolise et se tape sur la tronche pour une fille qui drague des étrangers un peu plus riches qui peuvent les extraire de leur triste condition et les emmener vivre ailleurs plus près de la capitale et de ses attraits. C’est le portrait d’une région conquise par la misère qui a toujours connu une certaine pauvreté mais a perdu la dignité qu’elle affichait quand il y avait du travail et des ressources même maigres. Le cheminement d’une région où les fabricants ont souvent été ruinés ou rachetés par des multinationales et que les marchands essaient de conquérir.
Les populations sont devenues encore plus fragiles que la région, les marchands d’illusion y font fortune en vendant de la drogue qui déglingue toute une jeunesse déjà abîmée par l’alcool. Le travail, même si c’est un mal pour certains, ça reste, au moins, un mal nécessaire qui fait cruellement défaut quand il n’y en a plus. Les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches semblent encore plus riches en vendant leur générosité comme on vend une image de marque.
Dans ce paysage qui pourrait paraître encore plus noir que le charbon, il y a aussi beaucoup de tendresse et de l’empathie, ces gens-là, comme chantait Brel, aiment leur pays, et même si leurs efforts ne sont pas toujours récompensés ils font en sorte que la vie soit plus belle … ou moins triste, dans ce pays qui leur colle à la peau, la terre qui a accueilli leurs ancêtres. C’est toute l’histoire de leurs enfants et petits-enfants que Lorenzo Cecchi fait vivre dans ses nouvelles qui ne masquent aucune des misères qui ont poussé sur le terreau de la malédiction du charbon. J’ai eu un petit frisson quand l’auteur a inséré une nouvelle construite d’après une mésaventure qu’il a subie personnellement. A ce moment, j’ai bien senti son attachement au Pays noir comme je le ressens souvent en lisant les textes d’autres amis qui écrivent aussi sur les misères de leur pays et sur leur envie de le faire revivre, de lui redonner les couleurs que Michel Jasmin a utilisé pour joliment illustrer ce recueil. L’espoir est tenace au pays noir… !
Les éditions
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Protection Rapprochee - Nouvelles
de Cecchi, Lorenzo
Cactus Inébranlable Éditions / Nouvelles
ISBN : 9782390490074 ; 17,00 € ; 17/02/2020 ; 119 p. ; Broché
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Protection rapprochée
Critique de Nathavh (, Inscrite le 22 novembre 2016, 60 ans) - 19 avril 2020
Je ne suis pas fan du genre "nouvelles", c'est un peu plus compliqué pour moi mais j'avoue que l'humour de Lorenzo, je l'apprécie. Il nous raconte parfois des histoires bien étranges, à la limite de l'absurde mais ne sommes-nous pas le pays du surréalisme ?
J'aime sa façon de nous présenter ses personnages, sa plume acérée, la proximité, l'intime qu'il crée avec ceux-ci. Les situations sont parfois loufoques mais on ressent l'humain.
- Cela commence fort avec le titre éponyme, Mireille qui fait du rififi en boîte de nuit, un protecteur inattendu pour mieux trouver sa place.
- "Tout me gonfle" m'a vraiment amusée, lorsqu'un parent d'élève harcèle la directrice d'école, à la fin ça la gonfle vraiment !
- "Le licenciement ": c'est un peu l'arroseur arrosé ! Albert Fortier veut engager Philippe Dewitte mais cela ne tourne pas comme cela devrait...
- Il fait l'éloge du travail dans "Des jobs, des jobs, qu'ils disaient"
- Ma préférée est peut-être celle-ci : "Le trou" Lorsque Carmelo vivant dans les Corons se met à creuser pour vouloir trouver un filon !
- Dans "L'avocat marron" être avocat par lâcheté et ne rêver que d'une chose : se retrouver derrière les barreaux !
- "A fréquenter des boiteux, on finit par boiter" : l'amitié peut parfois être sans limite et pousser à accepter beaucoup
- J'ai aussi beaucoup aimé "La veille du jour où tu es né" : la réalité des ravages de l'alcool et l'amitié.
Bref un recueil sur l'être humain, il y a quelque chose de touchant dans chaque nouvelle. Avec son style bien personnel, un vocabulaire direct, cru parfois, Lorenzo nous propose de découvrir des facettes de l'humain.
J'ai beaucoup apprécié les dessins qui agrémentent chaque nouvelle. Merci Michel Jamsin, ces croquis sont justes et pertinents et illustrant avec brio chaque nouvelle.
Ma note : 8.5/10
Les jolies phrases
Mais pourquoi ne puis-je m'arrêter ? Pourquoi ne puis-je à mon tour me résoudre à tuer ce que j'aime et qui m'assujettit ?
Depuis que le monde est monde, l'homme a toujours travaillé et ce n'est pas demain que les choses changeront. On ne peut pas prétendre à l'oisiveté quand même. Ce n'est pas moral, merde !
Lors d'un voyage en Espagne, un gars, une rencontre fortuite, a dit à Marquez que s'il n'arrivait pas à se passer de cigarettes, c'est parce qu'il avait peur de tuer ce qu'il aimait.
Le vrai pouvoir, c'est ça : disposer de l'autre corps et âme.
NOUVELLES D'AVANT LE TEMPS DU CONFINEMENT
Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 29 mars 2020
La jalousie, l’envie, les addictions – à la clope, à la boisson, aux opiacés –, les tourments du travail et les revers des exclus et de ceux qui les défendent (ces avocats qui sont les personnages de deux des meilleures nouvelles du recueil) sont le lot des acteurs de ces nouvelles. Mais le recueil n’est pas un simple relevé, on s’en doute, des mauvais penchants de l’espèce humaine. En permanence, les laissés-pour-compte réagissent aux attaques dont ils sont l’objet, d’autant plus pernicieuses qu’elle sont invisibles, par des actes d’amitié ou de bravoure gratuits comme cet homme qui part au secours d’un ami en détresse la veille du jour où son épouse va accoucher…
Lorenzo Cecchi décrit un monde impitoyable, absurde, détaché de toute humanité, celui, il va sans dire, de la guerre économique.
Acculés, les personnages mis en scène développent des symptômes en réponse avec l’objet de leur affliction comme la directrice de Tout me gonfle, contrainte d’acter une décision de son collège de professeurs qu’elle réprouve. Une nouvelle emblématique de l’aberration du milieu scolaire.
Ou cet homme, métaphore vivante de l’immigré italien venu oeuvrer dans les mines, qui creuse son jardin pour y trouver du charbon et faire fortune plus vite et qui, faute de trouver le filon espéré, se fait récriminer par le voisinage et se trouve contraint de quitter – une nouvelle fois – les lieux.
En sociologue de formation et bourlingueur, au sens cendrarsien, Lorenzo Cecchi sait que c’est derrière le story-telling fabriqué par les conseillers en communication de nos gouvernants et par les lignes commerciales des holdings financiers, sous la surface libre de la grande histoire que les livres scolaires retiendront, fourmillent les affects, s’infectent les destinées, en bref, se déroulent les histoires des délaissés et exploités du système mais aussi de celles et ceux qui essaient d’y tenir leur rôle au détriment de leur santé comme de leur intégrité morale.
C’est dans ce no man’s land social, cette partie cachée du rêve qu’on nous vend que le romancier et nouvelliste puise ses récits, dit autrement le monde qu’on voudrait nous faire accroire.
Tous les personnages ou presque, on l’a dit par ailleurs, sont des cabossés de la vie, des rescapés du souffle, des hommes et quelques femmes groggy mais toujours prêts à remonter sur le ring de l’espoir, les poings serrés sur leur coeur en alerte, la poitrine gonflée de soleil.
On retrouve dans ces quatorze nouvelles qui composent ce troisième recueil paru au Cactus Inébranlable la verve et le sens de la narration de Lorenzo Cecchi, son goût pour les situations où le cocasse le dispute au drame, où le sordide même voisine avec des élans d’une rare humanité.
Ces récits, plantés dans un terreau reconnaissable entre tous, comprennent des scènes mémorables comme celle du mafieux, tout à la préparation d’un mets, qui terrorise ses visiteurs ou celle dans laquelle cet homme pressé par son épouse qui déclare à la cantonade qu’elle a toujours refusé de lui "faire minette".
Pour conclure, Lorenzo se rit de ce qui nous désole mais pas au détriment de ses personnages (sauf pour se moquer de ses doubles fictionnels). C’est pour défendre leur honneur qu’il écrit car il se sait et se sent, comme il le dit en clôture d’une de ses nouvelles, "de plein droit" avec eux.
À noter encore que le recueil est agrémenté d’illustrations subtilement colorées du peintre et sculpteur Michel JAMSIN qui relèvent bien l’alliance du burlesque et du grave à l’œuvre dans le texte.
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