Correspondance
de Vita Sackville-West, Virginia Woolf

critiqué par Sahkti, le 24 juillet 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Lettres respectueuses
La correspondance échangée entre Virginia Woolf et Vita Sackville-West a été éditée chez Nigel Nicolson en 1985, avec une remarquable introduction de Mitchell A. Leaska, traduite en français dans cet ouvrage. L'édition originale, "he Letters of Vita Sackville-West to Virginia Woolf", a été publiée chez William Morrow and Co. à New York. Nigel Nicolson est le fils de Vita Sackville et son exécuteur littéraire.

Cette correspondance est enrichissante et intéressante à plus d'un titre. Outre la passion sensuelle de deux femmes l'une pour l'autre, c'est le portrait d'une amitié indéfectible, avec ses hauts et ses bas, mais également et surtout, le portrait de deux femmes de caractère qui s'aiment et se respectent, l'un et l'autre n'allant pas sans heurts.
Si Virginia Woolf est souvent représentée dans les biographies comme une femme forte, à la langue bien pendue et aux positions tranchées, je l'ai découverte plus faible, plus influençable face à son amie Vita, une femme qui sait ce qu'elle veut, ne craint pas d'exiger de Virginia un amour sans failles (exigences réciproques, faut-il le préciser). Des amies qui se stimuleront simultanément dans leur travail, qui avanceront ensemble ou côte à côte.

Ces lettres sont pour moi une révélation d'une facette moins connue de sa personnalité, des tranches épistolaires que je vais déguster par morceaux choisis, non pas pour éviter l'indigestion, mais pour en conserver plus longtemps l'arôme à fleur de papilles. Virginia Woolf déploie dans ses courriers beaucoup de sensibilité, de douceur, de fragilité aussi, il y a chez elle un petit côté enfantin qui émeut. Détestant être critiquée par la presse ou le milieu littéraire, on devine dans ces lignes que Virginia avait besoin d'amour et d'affection, qu'elle le réclamait, parfois brutalement, parfois maladroitement. Vita l'avait bien compris, elle protégea son amie, la réconforta, la dorlota du mieux qu'elle put.
Incessant passage entre la douceur et la force de caractère, entre la modernité de deux femmes émancipées et l'universalité intemporelle du sentiment amoureux.
Une amitié littéraire 10 étoiles

Cette admirable correspondance entre deux grandes intellectuelles, l'une géniale (Virginia), l'autre d'un très grand talent (Vita), et qui vécurent une passion amoureuse (c'est avec Vita que Virginia découvrit la volupté), est un régal. Elle nous renseigne non seulement sur la vie des deux protagonistes, sur leur sentiment amoureux (sur ce plan, les lettres restent éloignées de tout voyeurisme), mais aussi sur leur goût de la vie sociale et de l'amitié, ainsi que sur les voyages, surtout de la part de Vita, qui suit son mari diplomate en Asie, ce qui nous vaut de nombreuses notations intéressantes ("Mais je monte sur le pont à l'aube quand il n'y a personne de visible si ce n'est un Lascar égaré en train de fourbir les cuivres, et je contemple le soleil qui monte droit devant moi, surgi de l'orient, et le ciel et la mer sont comme le premier matin de la Genèse." / "il ne m'avait semblé y avoir aucune raison spéciale de penser que nous étions en route pour un endroit plutôt que tel autre, ou même pour quelque endroit que ce fût", lettre du 8 février 1926 / "j'éprouve à nouveau la même sensation d'impuissance désespérée, voyager étant, comme tu le sais très bien, le plus intime des plaisirs", lettre du 9 février 1927).
Et enfin ces lettres nous donnent des pistes sur la création littéraire, Vita peu sûre d'elle-même, mais écrivant au fil de la plume et très vite, Virginia, ayant conscience de se lancer à chaque fois dans une nouvelle aventure créative, mais non sans douleur ni difficultés ; certaines œuvres de Vita seront publiées par la Hogarth Press, la maison d'édition des Woolf. "Je crois que l'essentiel, quand on commence un roman, c'est de sentir non pas qu'on est capable de l'écrire,mais qu'il est là, de l'autre côté d'un gouffre que les mots sont impuissants à franchir : qu'on ne pourra le tirer à soi qu'au prix d'une angoisse éperdue", écrit Virginia à son amie le 21 novembre 1927.
Aussi passionnant que la correspondance Flaubert-Sand, c'est dire !

Cyclo - Bordeaux - 79 ans - 19 juillet 2015