Wells
de Suzanne Jacob

critiqué par Libris québécis, le 30 juillet 2004
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Des jumeaux en deuil
La gémellité est un thème rarement abordé en littérature québécoise. Aude et Sylvie Gagnon ont déjà écrit une oeuvre intéressante à ce propos. Avec Wells, Suzanne Jacob ajoute un roman à la courte liste. Elle présente deux jumeaux dizygotes, qui se rencontrent à l'occasion de la mort de leur père, survenue vingt ans après celle de leur mère, dans un hôtel d'une station balnéaire du Maine, éponyme du titre.
Il s'agit d'une soeur et de son frère amenés à mieux se connaître à cause des circonstances. Jeune, le garçon était dépendant de sa soeur. Devenu adulte, il s'était distancié d'elle en prenant la relève de son père comme commerçant de voitures alors que sa soeur menait une carrière de chanteuse en Europe. Séparés depuis deux décennies, ils doivent affronter un deuil qui risque de faire d'eux des êtres sans amarres. Jusque-là, seule la beauté qu'ils avaient hérité de leur mère fournissait leur ancrage. Liens très ténus pour établir une appartenance. Ce travail n'est pas facile quand des parents, étrangers à eux-mêmes, disparaissent sans laisser une architecture de survie. Les protagonistes vont donc s'appliquer à l'ériger après que le néant n'eut été que le seul lot partagé.
Suzanne Jacob oblige ses héros à reconstituer les archives de leur vie pour qu'ils trouvent la tranquillité d'esprit, prémices à leur bonheur. Le lecteur est invité à assister patiemment au long cheminement de ces jumeaux même si le roman ne compte que 80 pages. Il y a des pavés qui se lisent vite, mais l'inverse est aussi vrai. Surtout quand l'écriture enrobe le quotidien d'une couche poétique pour qu'il ressemble, en paraphrasant l'auteure, à une missa gemellorum (messe des jumeaux).
Un roman peu convaincant, une poésie intrigante 5 étoiles

Ce “roman” de 80 pages à peine est divisé en deux parties. La première, “Les plages du Maine”, était déjà parue en 1989, et elle vient d’être republiée, accompagnée d’une deuxième partie tout simplement intitulée “La suite”. Des dates de publication très différentes pour deux parties de texte qui me donnent aussi l’impression – à tort ou à raison - d’avoir été écrites à des années d’intervalle, un manque d’unité qui confère à ce court roman une architecture pour le moins déséquilibrée.

La trame est des plus ténues. Libris Québécis l’a bien résumée, je ne m’étendrai donc pas sur ce sujet. Une soeur et un frère, des jumeaux, “font leur deuil”, de leur mère d’abord (dans “Les plages du Maine”), et vingt ans plus tard, de leur père (dans “La suite”). A tour de rôle, ils s’auto-analysent en même temps qu’ils décortiquent leurs relations familiales et le rapport qu’ils entretiennent avec cette beauté si encombrante qu’ils ont héritée de leur mère… Une trame ténue, donc, qui ne suffit pas à soutenir l’intérêt pendant 80 pages. D’autant que le frère a une fâcheuse tendance à “badiner”, à “[s]’abandonner à des phrases toutes faites, à des mots sans intention, sans profondeur, qui viennent je ne sais d’où faire vibrer mes cordes vocales.”

Heureusement, il y a l’écriture de Suzanne Jacob, tour à tour répétitive – comme pour marteler une idée - ou lyrique. Une écriture qui succombe parfois à la tentation du “badinage”, mais qui se rachète par quelques très belles trouvailles, des images fortes et originales sur le thème de la gémellité notamment. Bref, voici un petit livre curieux qui m’a intriguée plutôt que convaincue.

Fee carabine - - 50 ans - 3 novembre 2005


Le voile des mots 5 étoiles

Il est fréquent en littérature québécoise que les mots prennent plus de place que le récit. C’est encore le cas ici alors que la poésie est au premier plan. En fait, l’écriture de Suzanne Jacob est un voile, étendu par-dessus l’histoire pour camoufler les secrets de ses personnages en deuil. On s’accroche ici et là à des phrases qui nous situent un peu, mais dans l’ensemble, c’est un voyage à l’aveugle.

Cette écriture étrange, souvent répétitive, qui m’avait rebuté dans « L’obéissance » au point d’abandonner, est plus digeste dans ce court roman. Mais comme toutes les œuvres qui adoptent cette approche, l’enveloppe est belle mais résolument vide et rapidement oubliée.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 7 avril 2005