Rouge impératrice
de Léonora Miano

critiqué par Pucksimberg, le 2 juillet 2025
(Toulon - 45 ans)


La note:  étoiles
Un roman d'anticipation reposant sur une Afrique pacifiée et puissante
Ce roman d'anticipation de Léonora Miano a quelque chose d'excitant, car elle imagine intelligemment un futur qui ne peut que questionner le lecteur. Dans un peu plus d'un siècle, l'Occident a quasiment disparu et l'Afrique est devenue Katiopa, un continent quasiment unifié gouverné par Ilunga. Les Sinistrés définissent ces Européens qui ont perdu leur grandeur et qui sont venus trouver refuge auprès d'un continent quasiment pacifié. Ils vivent malgré tout repliés sur eux-mêmes et certains habitants de Katiopa restent très méfiants à leur égard, n'ayant pas oublié la sauvagerie de l'esclavage, ni celle de la colonisation. Ilunga tombe sous le charme d'une très belle femme, à la peau cuivrée, prénommée Boya. Il n'aura de cesse de la retrouver, attiré comme un aimant par cette femme impériale qui enseigne. Parallèlement à la description de ce nouveau monde et de la relation naissante entre Ilunga et Boya, d'autres intrigues seront développées par Léonora Miano qui feront la part belle à des personnages secondaires qui sauront intéresser le lecteur.

Ce monde moderne suscite une certaine fascination sur le lecteur car l'écrivaine a vraiment élaboré précisément une nouvelle géopolitique. L'Histoire que nous connaissons est bien le passé de ce monde, mais Léonora Miano a pris son inspiration dans ce qui définit l'Afrique d'aujourd'hui pour imaginer ce qu'elle pourrait être dans 100 ans. Certains noms de pays et de peuples ont changé. Elle définit aussi une géographie marquée par des progrès technologiques. Les croyances africaines n'ont pas été abandonnées pour autant, elle sont présentes et respectées par les personnes qui occupent les rangs les plus élevés. On a aussi le sentiment que l'écrivaine s'est amusée aussi à renverser la situation actuelle en plongeant les Européens dans la disparition d'une civilisation qu'ils croyaient assise et toute-puissante.

Ce roman fait aussi évidemment réfléchir le lecteur qui observe ces Occidentaux vivant en autarcie, migrant vers l'Afrique, se trouvant dépassés par la force de Katiopa. Cette vision peut questionner, effrayer certains, révéler certains faits, elle a donc le mérite à juste titre de nous faire réfléchir et d'imaginer ce que peuvent ressentir les Africains aujourd'hui. A divers endroits, l'on perçoit une critique de notre comportement et du regard que l'on porte sur l'autre. Léonora Miano reste une écrivaine mesurée et intelligente, elle permet des prises de conscience mais ne tombe pas dans le rôle de la personne qui distribue les bons points. Et son héroïne même s'intéresse à ces Occidentaux tombés de leur piédestal. Il y a quelque chose d'utopique dans cette réconciliation de tous les peuples ...

Léonora Miano voulait surtout écrire une histoire d'amour. Toutes les étapes de la séduction et de l'attirance sont dépeintes. Elle décrit ces paliers amoureux à sa façon. Le plaisir féminin n'est pas négligé par l'homme et leur façon de raisonner sur l'amour diffère de la plupart des romans. Ce regard sur l'amour qui intègre vraiment le plaisir et les attentes féminines s'inscrit dans les avancées actuelles même si l'écrivaine ne se veut pas porte-parole d'un groupe idéologique. A ce sentiment amoureux, s'opposent les intrigues politiques, les plans fomentés dans l'obscurité, les tentatives d'éviction. Il y a un côté shakespearien dans ces rapports au pouvoir.

La langue de Léonora Miano est belle et précise. L'autrice trouve toujours le mot juste et nous permet de nous immerger dans Katiopa grâce à ces passages descriptifs. Elle intègre aussi beaucoup de termes africains dans son roman ce qui nous oblige à faire des efforts de compréhension. Le lecteur doit donc intégrer ce vocabulaire africain pour pouvoir suivre le récit. Cela est cohérent et en osmose avec les idées dominantes de ce roman. Il y a peu de dialogues ou alors les répliques sont intégrées en italique dans le roman, ce qui donne vraiment tous les pouvoirs à la narration. Le lecteur suivra plusieurs personnages comme dans une série télé, dans une écriture travaillée. Il est vrai qu'il y a quelques longueurs parfois, mais j'ai malgré tout dévoré ce roman de 640 pages quasiment. L'écrivaine prend sont temps, décrit certains quartiers, permet au lecteur de voir comment les personnages réfléchissent, présentent les idées politiques du dirigeant en place ... Ce n'est pas inutile et c'est même souvent passionnant, mais l'on peut parfois ressentir certaines longueurs. J'ai entendu dans une interview de Léonora Miano que ce roman va devenir le premier volet d'une trilogie. Donc à suivre ...