Un roman naturel
de Georgi Gospodinov

critiqué par Sahkti, le 2 août 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Liberté de l'écriture
Gheorghi Gospodinov appartient à la nouvelle génération littéraire bulgare. Dans "Le roman naturel", on trouve une série d'incipit (Salinger, Dickens, Tolstoï, Defoe…) et une multitude de personnages.
Parmi ceux-ci, Dieu. Avec une nuance formulée par l’auteur : "Le plus simple serait d'appeler le grand tentateur Dieu. Je l'admettrais à la condition que le nom de Dieu signifie la langue. Non pas le Verbe mais la langue. Lui (Dieu, ou la langue) n'a parlé en fait que quelque six jours...".
Selon l’auteur, Dieu aurait perdu l’usage de la langue dès le septième jour. Pour mieux la laisser aux écrivains ?
Le roman naturel est un récit dispersé dans de très courts chapitres qui nous relate l’histoire d’un couple qui se sépare, une femme enceinte de son amant et le déchirement du partage des biens… et du chat.
Avant de céder la place à la narration d’un certain… Gospodinov, tantôt rédacteur ayant reçu un manuscrit anonyme retraçant cette histoire de séparation, tantôt clochard vivant dans un fauteuil à bascule. Deux personnages ? Un seul être ? Naissance d’un trouble que l’auteur cherche à nous faire partager, notamment dans la partie intitulée "Vers l'histoire naturelle d'une mouche", où tout devient brillant, comme scintillant sous les éclats de cristal brisé. Histoire de voir de l’intérieur.

Un très beau roman empreint de doutes et de fausses convictions, par lequel le lecteur se demande où l’auteur veut l’emmener, avant de découvrir qu’il vogue lui-même à la dérive de sa vie. En reliant les débuts de romans, ce que Gheorghi Gospodinov se garde bien de faire à notre place et en donnant un sens à chaque collision du hasard.
D’où le côté naturel du roman…
Patchwork 7 étoiles

La fraîcheur et la liberté de style des premiers chapitres donne à découvrir un auteur s'amusant à brouiller les pistes entre styles et thèmes modernes et classiques, mélange d'esprit potache, de jeu littéraire et d'un brin de ce qui donne unité à la littérature venant de l'est.

Les chapitres se laissent découvrir comme s'il s'agissait de nouvelles courtes, dont le fil, de l'une à l'autre, ne serait guère plus qu'une ambition, toute en recul, d'atteindre au "roman naturel".

Mais, mais, mais... Même si tous les ingrédients viennent peu à peu à habiter ce roman sur le roman, même si la forme s'envole parfois au gré de l'humour et de belles touches faites au papier, on ne peut s'empêcher de voir là un exercice de style (Queneau cité en quatrième de couverture) et un certain laisser-aller, comme si l'auteur faisait le pari de la réussite en laissant couler sa plume là où elle veut bien aller. Parfois ça marche, parfois non et on décroche alors en survol quelques pages en escomptant reprise à la nouvelle suivante..

Un bouquin qui laisse néanmoins le goût ou l'envie de découvrir ce que Gheorghi Gospodinov a pu s'amuser à écrire par ailleurs. Parce qu'une chose est sûr Gheorghi Gospodinov s'amuse et ça n'est vraiment pas chose désagréable.

Un extrait :

"Je suis trop gêné pour rester davantage. je me lève et m'en vais. Elles semblent me remarquer seulement maintenant, se taisent et boivent leur café d'un air concentré. Tout en me dirigeant chez moi, je me dis que l'espace d'une demi-heure j'ai été plus intime avec ces deux femmes que le seront jamais leurs propres maris. Triste conclusion. Il y a sûrement quelque part d'autres hommes qui, de la même manière, sont bien plus intimes que vous avec votre propre femme."

Balamento - - 60 ans - 18 décembre 2004