La force de l'âge de Simone de Beauvoir
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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La saga continue...
Deuxième volet de ses mémoires, ce livre couvre quelques quinze années, de 1929 (Simone a alors 21 ans) à 1945. Très curieusement, le thème qui le sous-tend est éloigné de ce qu’on pourrait imaginer (l’insouciance de la jeunesse). Il s’agit plutôt de la conception que Beauvoir se fait de la mort, qui rejaillit évidemment sur la vie en lui donnant son sens. L’intérêt du livre tient également au retour critique permis par le délai entre les événements et leur relation : « La Force de l’âge » paraît en 1960, soit 30 ans après les faits décrits.
Lorsqu’en 1929 Simone rentre à Paris, sa relation avec Sartre n’en est encore qu’à ses débuts et fait pourtant déjà figure de lien indéfectible. Un lien particulier cependant. Sartre n’est pas un adepte de la monogamie ! Pour lui, chaque rencontre promet de nouvelles richesses : il serait idiot de s’en priver. Sartre s’explique : « Entre nous (...) il s’agit d’un amour nécessaire : il convient que nous connaissions aussi des amours contingentes ». Il lui propose un bail de deux ans aux cours desquels ils se consacreraient totalement l’un à l’autre, sans interférence aucune. Ensuite, ils pourraient être séparés, même pour deux ou trois ans, « rien ne prévaudrait contre cette alliance ». Sartre a beau faire le fanfaron, cela ne l’empêchera pas, sur le point d’être envoyé au Havre pour enseigner alors que Simone est parachutée à Marseille, de lui proposer le mariage, pour ne pas être séparés... Simone refusera tout net (« Le mariage multiplie par deux les obligations familiales et toutes les corvées sociales »).
Le temps partagé ensemble est consacré avant tout à la conversation, à l’émergence de théories qu’ils défendent bec et ongle devant les contre-arguments, mais qu’ils mettent en pièces le lendemain au profit d’une nouvelle : on les voit s’exercer au jeu philosophique. Apparaissent les premières manifestations de l’existentialisme chez Sartre et chez Simone, qui ne feront que grandir : « Rien donc ne nous limitait, rien ne nous définissait, rien ne nous assujettissait ; nos liens avec le monde, c’est nous qui les créions ; la liberté était notre substance même », quoiqu’ils conçoivent chacun cette liberté d’une manière différente.
Au point de vue littéraire, c’est pendant cette période que sera publié « L’Invitée », premier roman de Simone. Elle en fait une analyse pointue et dénuée de la moindre indulgence. « Le Sang des autres » suivra et fera l’objet d’un décorticage identique. Sartre publie également. Petit à petit, ils constituent un cercle intellectuel et nous voyons défiler des personnages tels que Camus, Queneau, Picasso, Giacometti, ...
Beauvoir raconte aussi par le menu les nombreux voyages effectués pendant les vacances scolaires. Adepte de la marche à pied, elle s’y adonne sans mesure, le plus souvent en solitaire, sans précaution, sans équipement adéquat. Ce qui devait arriver arriva : la chute, grave, et la première confrontation directe avec la mort. L’idée qu’elle s’en faisait continuera à évoluer, notamment à l’occasion d’une deuxième très vilaine chute, en vélo cette fois.
Leur rapport à l’argent est ambigu. Ils méprisent la bourgeoisie mais Simone a la lucidité de préciser : « Notre indifférence à l’argent était un luxe que nous pouvions nous offrir parce que nous en possédions assez pour ne pas souffrir du besoin et pour n’être pas acculés à des travaux pénibles. Notre ouverture d’esprit, nous la devions à une culture et à des projets accessibles seulement à notre classe. C’était notre condition de jeunes intellectuels petits-bourgeois qui nous incitait à nous croire inconditionnés ». Donc, ils en gagnent de l’argent, mais ils ne roulent pas sur l’or. Il est hallucinant de voir qu’ils ne considèrent pas leur salaire comme une « propriété » épuisable. Ils l’utilisent tant qu’il y en a. Par exemple en le donnant à certains de leurs amis dans la difficulté., quitte à soi-même n’avoir plus un sou, littéralement, pour manger.
Bien entendu, le climat politique s’envenime. La menace du nazisme n’est tout d’abord pas prise au sérieux. Puis la guerre éclate. Sartre sera rappelé, envoyé au front, fait prisonnier, libéré puis démobilisé. Simone décrit les alertes, le couvre-feu, la pénurie alimentaire. Mais le plus impressionnant est de constater que la vie continue : Simone va et vient, avec ou sans Sartre, franchissant la ligne de démarcation pour passer des vacances en zone libre !
Cette critique est déjà trop longue, mea culpa : ce livre regorge, que dis-je, déborde, de renseignements passionnants sur les protagonistes et sur l’époque. De surcroît, Simone de Beauvoir nous gratifie d’une écriture, non point facile, certes, mais riche, et cela vaut bien un petit effort !
Les éditions
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La Force de l'âge... [Texte imprimé] Simone de Beauvoir
de Beauvoir, Simone de
Gallimard / Collection Folio.
ISBN : 9782070377824 ; 11,50 € ; 14/11/1986 ; 693 p. ; Poche
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La constitution d'un couple d'intellectuels atypiques
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 1 janvier 2019
Ces mémoires font mieux comprendre le schéma de fonctionnement de cette intellectuelle et de sa conception de la vie privée. C'est intéressant, d'autant que son féminisme s'affirme.
A force de lire.
Critique de Obriansp2 (, Inscrit le 28 mars 2010, 54 ans) - 3 janvier 2016
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