L'aube naît de la nuit
de Luigi Pirandello

critiqué par Cédelor, le 6 août 2020
(Paris - 53 ans)


La note:  étoiles
Un récit tragi-comique sur les malheurs de la Sicile
Luigi Pirandello est un des très grands écrivains italiens et pourtant plutôt méconnu de nos jours, me semble-t-il. Je le connaissais de nom, qu’il a eu le prix Nobel de littérature (en 1934) et qu’il avait écrit surtout du théâtre, pour lequel il était réputé. Et c’est à peu près tout. Un jour que je tombe sur un livre de lui, dans un vide-grenier, « L’aube naît de la nuit », qui m’était totalement inconnu, dans une vieille édition dite « Edition de la Paix », je me suis dit qu’il serait intéressant de le lire.

Maintenant que je l’ai lu, qu’en pourrai-je dire ? D’abord que c’est un livre qui est facile à lire et difficile à suivre. En effet, la lecture ne présente pas de difficultés, c’est juste qu’il y a pléthore de personnages, et qu’il faut retenir leurs noms, leurs liens d’amitiés, de parenté, d’intérêts, d’amour entre eux, d’autant que Pirandello a une manière bien à lui de les présenter et de les amener dans son récit, qui ne permet pas de les situer d’emblée.

Ces personnages s’agitent en Sicile et à Rome, dans la dernière décennie du 19ème siècle, au moment du scandale des banques italiennes et de la révolte des fascio en Sicile, sur fond de désenchantement post risorgimento (la réunification de l’Italie) et révolution garibaldienne. C’est donc une histoire très italienne. Et le récit, complexe, de Pirandello s’insère dans ce contexte politique.

Faire un résumé du livre n’est pas facile. L’histoire se déroule d’abord et principalement en Sicile, où l’auteur lui-même est né, avec des aristocrates, des industriels, de vieux révolutionnaires garibaldiens sur le retour, des communistes appelant à la révolution socialiste, des pauvres gens, d’ambitieux jeunes hommes, des politiques vénaux… et tous s’agitent dans la toile de leurs intrigues familiales, politiques, intéressées, amoureuses…

On peut donc dire que c’est une sorte d’épopée moderne (pour l’époque) à la sauce italienne, dans laquelle Pirandello, à mon sens, a voulu faire ressortir le tragique de l’existence humain dans toute sa diversité, pris dans le carcan du contexte social d’alors. Mais de ce tragique, il en fait aussi un comique. Le tragique et le comique ne sont que les deux faces de la même condition humaine. Et là est son originalité par lequel se distingue ce roman.

L’auteur veut représenter le destin de la Sicile à travers des personnages qui tous, à des degrés divers, tels qu’ils sont, riches ou pauvres, aristocrates ou révolutionnaires, adversaires et amis, subissent le poids atavique d'être siciliens, comme si le fait d'être né en Sicile était une malédiction. Vu comme la Sicile est dépeint dans le roman comme une terre de misère et de malheurs, il n'est pas étonnant que les destinées humaines y soient tragiques, selon l’auteur. À tel point que le tragique en devient risible. L'humour qui traverse le roman, comme pendant du malheur, est salutaire et vivifiant, quoiqu'il soit aussi amer, sarcastique, et même bouffon parfois, faisant ressortir le côté vain, ridicule et triste de toutes ces passions humaines, jamais grossière cependant, Pirandello est un écrivain qui sait dire les choses à bon escient sans (trop) forcer le trait et les amener où il veut.

La folie est un élément frappant du roman. Nombre de personnages sont atteints de folie ou le deviennent, ou sont crus tels. Presque tous en tout cas ont des bizarreries de comportement, de paroles, de pensées plus ou moins prononcées. Des êtres sensés, posés, raisonnables, je n’en ai trouvé aucun dans le roman. Tous sont débordés par leurs passions, leurs souffrances, leurs émotions, leurs ambitions, leurs peurs.

Au final, qu'a voulu dire l’auteur avec son roman sur la Sicile ? Voulait-il dénoncer avec force et dérision le sort fait à la Sicile par l'Italie post-révolutionnaire garibaldienne et que l’idéal révolutionnaire s’est enlisé dans les sordides calculs de gain et d’intérêts personnels de la classe politique et industrielle ? Que la Révolution aurait donc été volée bassement à ceux qui l’avaient fait avec enthousiasme et ferveur dans l’espoir d’une vie meilleure ? C’est la conclusion qui m’apparaît. Et la fin montre que cette Révolution, qui aura été sanglante, a échoué tristement avec le sort fait au personnage de Mauro Mortada, sans doute le plus emblématique du roman, symbole de la Sicile dans son espoir révolutionnaire qu’il incarna jeune et qui s'est fourvoyé dans une vieillesse désabusée et sans espoirs, aux illusions trompées.

Je n'ai pas compris le titre, qui semble suggérer qu'après les malheurs vient l'espoir ou l'amélioration, or le roman n'offre ni l’un ni l’autre.

Un livre qui m’aura appris des choses sur la période de l’unification italienne, et que je rapproche d’un autre livre sicilien, « Le guépard », de Guiseppe Tommasi di Lampedusa. Un livre par moments passionnant, par moments long, et qui montre les hommes et les femmes presque exclusivement par leurs plus mauvais côtés, d’une façon ironique et moqueuse, indulgente pourtant face à la vacuité de la folie humaine. Un livre peu optimiste et sombre, donc, qui n’empêche pas de sourire et même de vous surprendre à rire.