Voix endormies
de Dulce Chacón

critiqué par Alandalus, le 9 août 2004
(BORDEAUX - 67 ans)


La note:  étoiles
S U P E R B E
Après s'être documentée et avoir recueilli des témoignages réels pendant 4 ans, Dulce Chacón nous sert un livre merveilleux et dur.

Un livre poignant, qui prend aux tripes. Un livre indispensable.

Pendant les années de plomb du franquisme, juste après la Guerre Civile Espagnole, un groupe de femmes républicaines s'affronte à l'humiliation, la torture et la mort dans la madrilène prison de Ventas. C'est l'histoire de Pepita, Tomasa, Elvira, Hortensia et Reme et de leurs familles que nous relate Dulce Chacón. L'auteure réveille la voix de ces femmes et de leurs êtres chers pour récupérer la mémoire rendue muette d'une époque.

C'est la voix des vaincu(e)s de cette guerre, l'histoire occultée pendant 40 ans en Espagne, que nous offre Dulce.

Une histoire vraie et très émouvante, racontée avec justesse, respect et humanité.

Un livre à ne pas manquer.
Impressionnant 10 étoiles

Les critiques précédentes ont bien décrit les aspects majeurs de ce livre poignant dans lequel le sort des prisonnières de "Las Ventas" à Madrid et de leurs proches est si bien décrit dans une langue à la fois précise et pudique. Toute cette douleur, toute cette rage, tout ce désir de revanche, toutes ces peurs sont rapportés dans les débuts du gouvernement de Franco et les essais de retour de survivants de la République Espagnole. Je m'écarterai cependant un peu des critiques précédentes et des discussions qui ont suivi. L'historiographie moderne (voir à ce sujet le dernier livre de Carlos Gil Andrés ou celui de Michel del Castillo) tend, à mon sens, à séparer deux périodes: 1) la guerre elle-même pendant laquelle les violences ont été bien partagées entre les deux camps ("Voix endormies" y fait d'ailleurs plus qu'allusion); 2) l'après-guerre pendant laquelle la violence du gouvernement de Franco est fondée sur "un projet de nettoyage politique pour exterminer l'expérience républicaine" (Gil Andrés).
Gil Andrés souligne que les violences espagnoles ont été, à bien des titres et sous bien des formes, une préfiguration de celles qui ont été perpétrées ultérieurement en Europe contre les populations civiles. J'ajoute que je suis frappé par la similitude des discours militaires espagnols de l'époque et de ceux de la dictature argentine des années 1976-1983. Ce rapprochement n'est pas innocent. Malheureusement, si nous en sommes à peu près sortis à l'heure actuelle dans le monde occidental, j'ai bien peur que ces racines ne soient fortement ancrées dans l'humanité.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 8 juillet 2014


No pasaran 8 étoiles

Oui, ce livre est à lire. On ne sait jamais très bien quelle est la part du roman et celle des faits mais il est clair que tout ce qui est raconté est arrivé ou a pu arriver. Ces femmes ont une fierté magnifique et on est saisi d’effroi, d’indignation, de révolte, d’écœurement quand une religieuse (oui une religieuse !) coupe la jolie queue de cheval d’une jeune prisonnière pour la punir parce qu’elle en a « joué » au parloir. C’est la religieuse et non la prisonnière qui perd ainsi sa dignité. Ou encore quand une condamnée à mort se voit imposer la confession et la communion si elle veut allaiter une dernière fois son enfant. Elle aura plus de principes que de cœur dira, admirative, une de ses compagnes. Ou encore… Oh Hortensia, Pepita, Reme, Tomasa, Elvirita, quelle connerie la guerre !
Je sais bien que Dulce Chacon a choisi son angle d’écriture mais ce qu’elle relate est vrai ou pourrait être vrai. Et c’est insupportable car si ce récit est subjectif, il n’est jamais manichéen.
« No pasaran » disait la Pasionaria et elle a eu raison. Ils ne sont pas passés. Ils ont peut-être gagné la guerre mais ils n’ont jamais vaincu ces femmes, anonymes certes, et dont pourtant la trace ne s’efface pas dans l’Histoire.

Jlc - - 80 ans - 18 juillet 2006


Bien d'accord, à ne pas manquer ! 9 étoiles

Je ne referai pas de résumé de ce livre, celui-ci ayant été très bien fait par Andaluz.

Elle a tout à fait raison quand elle parle de l'humanité et de la pudeur de ce livre. J'ai aussi apprécié le fait que, différemment de l'habitude sur ce sujet, nous soyons plongés ici dans un monde plus féminin que masculin.

Il me semble des plus intéressant de rappeler que le tribut payé par les femmes dans cette guerre a également été très lourd.

L'autre aspect très important c'est de nous replonger dans ce qu'a été cette guerre civile en Espagne. D'autres jeunes auteurs espagnols se montrent- également toujours très impressionnés par elle. Il s'agit notamment de Munoz Molina dans "Beatus ille", " Le royaume des voix" et "Beltenebros" et de Zafon dans "L'ombre du vent".

Cette guerre nous a aussi valu "Pour qui sonne le glas" qui tente de montrer les deux côtés tout en étant plus proche de la république que de Franco bien sûr !

Je crois que nous devons accepter l'idée que ce conflit est très peu perçu par les jeunes générations pour lesquelles l'Espagne est davantage le pays du soleil et des vacances que celui de l'incroyable dictature de Franco même si cette guerre nous a aussi valu un chef-d'oeuvre comme Guernica qui, à mes yeux, représente l'expression la plus extraordinaire de l'horreur en peinture.

Rappelons, qu'outre les très nombreux morts au combat ou fusillés, Franco a encore fait disparaître plus de 200.000 personnes après la fin de la guerre (anarchistes, communistes, socialistes et opposants divers).

Oui, Andaluz a bien raison: ce livre est vraiment à lire ! En plus, son écriture est assez originale mais très appropriée au sujet.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 6 juin 2006